Cela fait quarante ans que les chercheurs courent après un vaccin efficace contre le VIH. Après de nombreux échecs, les pistes actuelles sont plus que prometteuses. Mais il y aura plusieurs étapes avant d’atteindre un vaccin efficace à 100 %. Le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chef de service en immunologie clinique et maladies infectieuses au CHU Henri Mondor à Créteil (Val-de-Marne) et responsable des études cliniques à l’Institut de recherche vaccinale, dresse le panorama des recherches en cours.
Les vaccins contre le VIH/Sida ne sont plus hors de portée, estime aujourd’hui la communauté scientifique. Vaccins préventifs ou thérapeutiques, les essais se multiplient sur plusieurs fronts. Le point à l’occasion du Sidaction, qui subventionne notamment la recherche.
Le point avec le Pr Jean-Daniel Lelièvre, chercheur Inserm à l’hôpital Henri Mondor et au labo d’excellence VRI, dont les travaux bénéficient de ces financements.
Pourquoi est-il si compliqué d’obtenir un vaccin contre le VIH/Sida ?
Déjà, le système s’attaque au système immunitaire et le rend moins efficace (alors que le système immunitaire, notamment, doit combattre les virus). De plus, il se réplique très vite et mute (se modifie) très vite. On peut être infecté par seulement quelques exemplaires du virus. Mais très vite, le système immunitaire doit se défendre non pas contre un virus mais contre des variants nombreux du virus. On s’est aperçu qu’on ne connaît pas de gens infectés qui, spontanément, ont pu se débarrasser du virus. Contrairement à d’autres infections, comme l’hépatite B.
Quelles sont les stratégies pour obtenir un vaccin contre le VIH ?
Il faut distinguer les vaccins préventifs qui empêcheraient l’infection, et les vaccins thérapeutiques, qui soignent l’infection. Dans tous les cas, on va stimuler le système immunitaire avec quelque chose qui ressemble au virus, mais qui n’est pas le virus lui-même.
Dans le cadre d’un vaccin préventif, cela passe par ce qu’on appelle par la simulation d’anticorps, des protéines synthétisées par des cellules appelées lymphocytes B. Leur principal mécanisme d’action est d’empêcher un virus d’entrer dans la cellule et l’infecter.
Dans le cadre d’un vaccin thérapeutique, on va stimuler d’autres cellules, les lymphocytes T pour aller détruire les cellules infectées et les empêcher de produire des virus (un virus « pirate » l’ADN des cellules qu’il infecte pour qu’elles produisent des copies du virus).
Certaines personnes sont plus résistantes que d’autres à l’infection ?
Oui, et c’est ce qui guide une partie des recherches. Être séropositif indique que l’on a développé des anticorps contre le VIH, mais souvent, ils ne sont pas protecteurs. Ils peuvent neutraliser un seul type de VIH, mais pas ses variants.
Certaines personnes, environ 0,5 % de la population, développent des anticorps « neutralisant à large spectre » capables de bloquer 90 % à 95 % des souches virales. À l’échelon individuel, ils vont peut-être tomber malades, mais des anticorps bloquant autant de souches virales, c’est intéressant.
D’un autre côté, on sait que des gens contrôlent le virus après avoir été infectés. On les appelle les « élites contrôleurs. » Ils n’ont pas besoin de traitement antirétroviral. Ils vont être le modèle pour un vaccin thérapeutique.
Une troisième population de malades est elle aussi très intéressante, ceux qu’on appelle contrôleurs post-traitement. Ce sont des gens traités très tôt après l’infection. S’ils sont traités assez longtemps, 5 à 10 ans, 20 % d’entre eux contrôlent la réplication du virus, mais d’une façon différente des élites contrôleurs. Cela confirme qu’il est important de dépister et de traiter très tôt, avant que le système immunitaire soit affaibli par le virus.
Sait-on comment ces « super anticorps » se mettent en place ?
On sait qu’ils se mettent en place seulement un an et demi après l’infection. C’est beaucoup plus long que dans d’autres infections. Il y a une sorte de dialogue, d’interaction entre le virus et le système immunitaire. Un premier virus arrive, le patient produit des anticorps. Le virus mute, et un autre type d’anticorps capable de neutraliser les deux types de virus est produit. Le virus et le système immunitaire se répondent.
On ne sait pas exactement pourquoi cela survient sur 0,5 % des gens. On pourrait reproduire ce phénomène avec un vaccin. Mais il faudrait revenir avec des protéines du VIH un peu modifiées à chaque injection, pour reproduire cette pression naturelle.
Il y a des essais cliniques avec des anticorps purifiés (en phase préliminaire) mais c’est complexe et ce n’est pas une fin en soi, compte tenu de la lourdeur du process (et du coût des traitements).
Quels sont les essais sur l’homme les plus avancés actuellement ?
Celles d’un vaccin plus classique. Avec des protéines mimant le virus. L’essai RV 144 ou essai thaï (en 2009), a montré qu’en utilisant une combinaison de vaccins on avait une protection de 35 % dans des populations très à risque, mais avec une perte au cours du temps de la protection vaccinale.
Ce type de vaccins est plus simple et pourrait être une première approche de vaccination de masse, dans les pays à l’incidence importante. Même s’il ne marchait qu’à 50 % ce serait un grand pas. Il y a un grand essai de ce type en Afrique du Sud. Avec un peu plus d’injections, ils espèrent justement arriver à 50 %.
Il y a d’autres approches ?
Celle développée par Louis Picker aux États-Unis. En utilisant un vecteur viral (un virus inoffensif qui sert à transporter le vaccin vers sa cible), il réussit à induire une réponse un peu différente des lymphocytes TCD8. La réponse immunitaire est très forte et peur éliminer tous les virus présents. L’infection va se faire et la réponse va faire disparaître l’infection.
Après une infection naturelle, les lymphocytes TCD8 répondent, mais en retard par rapport au virus, qui a toujours un coup d’avance, en se modifiant constamment. Picker semble avoir réussi à accélérer cette réponse. Chez le singe, il a pour l’instant des résultats proches de 50 %. Et il vient de publier le même type d’approche avec le même type de vecteur dans la tuberculose. Il a mis au point une nouvelle stratégie vaccinale avec un vecteur très particulier.
Sur quelles pistes travaillez-vous dans votre laboratoire ?
La plus novatrice est celle d’une « vectorisation particulière ». Dans un vaccin classique, vous avez besoin de protéines issues du VIH en grande quantité. Nous couplons ces protéines de VIH à des anticorps qui ont pour cible des cellules clés de l’immunité, les cellules dendritiques (celles chargées d’analyser la menace et de commander la réponse immunitaire). Cela permettrait au vaccin d’aller directement sur la bonne cible, de l’activer et donc de diminuer la quantité de vaccin dont on a besoin. Et là aussi, on peut développer lemême type d’approche pou d’autres maladies, comme Ebola ou la tuberculose.
Ou en êtes-vous ?
Tout est validé dans les systèmes animaux. Les anticorps sont en cours de production aux normes utilisables chez l’homme. Les essais devraient commencer l’année prochaine. Parallèlement, on travaille aussi sur d’autres candidats vaccins plus anciens.
Quel est votre degré d’optimisme quand à l’arrivée d’un vaccin préventif efficace ?
Dans un premier temps, on aura sans doute un vaccin qui n’est efficace qu’à 50 %. Il peut être utile dans lespays ou l’endémie est importante ou pour les populations très à risque. Pour la piste des anticorps à large spectre, on en est aux premiers résultats chez l’animal mais les résultats sont intéressants.Il est difficile de faire des prédictions. Il y a une dizaine d’années, on était dans le noir, sans perspectives. Là, on a des perspectives sérieuses et on peut y arriver avec les techniques actuelles.
Et pour les vaccins thérapeutiques ?
Après infection, ce qui va contrôler la maladie est la réponse des lymphocytes TCD8. Les traitements antirétroviraux actuels sont très efficaces, vous pouvez vivre avec le virus jusqu’à 80 ans, sans risquer d’infecter quelqu’un. Les antirétroviraux empêchent la réplication du virus mais ils éteignent la réponse TCD8. Ils ne voient plus le virus, ils ne sont pas en alerte. Mais si vous arrêtez le traitement, l’infection repart. L’idée est de stimuler la réponse TCD8 pour que le système soit prêt quand vous arrêtez le traitement et qu’il puisse contrôler le virus.
Mais ce n’est pas aussi simple. Il faut combiner le vaccin avec d’autres produits stimulant la réponse immunitaire (utilisés dans l’immunothérapie des cancers ou d’autres maladies). Il y a de nombreux essais en ce sens. Nous allons en débuter un, dans le cadre d’un consortium de recherche international (EHVA : European HIV Vaccine Alliance), qui a été lancé en 2016, en utilisant du vedolizuman, un anticorps monoclonal pour l’instant utilisé dans des essais contre la maladie de Crohn (maladie inflammatoire intestinale chronique). Bien sûr, il y a des convergences entre les recherches sur différentes maladies.
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