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Une nouvelle piste contre la dépression résistante aux traitements

Un biomarqueur intracellulaire pourrait prédire le risque de rechute et déboucher sur une nouvelle famille d’antidépresseurs.

Chaque année en France, deux millions de personnes sont confrontées à la dépression. De Paris à Marseille, et de Montréal à Berlin, des dizaines de chercheurs se sont lancés dans une quête du Graal originale: en percer les mécanismes biologiques. Avec l’espoir de comprendre enfin pourquoi certaines personnes sont plus vulnérables que d’autres.

«Une question centrale qui pourrait aider à mieux définir le risque individuel et la résilience dans les troubles psychiatriques, est de comprendre comment l’environnement (adversité) interagit avec des prédispositions génétiques au niveau moléculaire», écrivait en janvier dernier le Dr Elisabeth Binder, qui dirige le groupe de recherche sur la génétique moléculaire de la dépression à l’Institut de psychiatrie Max-Planck de Munich (Allemagne).

C’est la piste suivie par des équipes françaises et canadiennes, membres du réseau de psychiatrie FondaMental, dont les résultats ont été publiés le 7 mai dans la revue scientifique internationale Nature Medicine. «Nous nous demandions pourquoi les antidépresseurs mettent deux à trois semaines avant d’agir et aussi pourquoi ils sont inefficaces chez un tiers des patients traités, explique au Figaro le Dr Eléni Tzavara (Inserm, Paris) qui a dirigé ce travail. On s’est dit qu’il fallait peut-être aller en amont des synapses (connexion entre les neurones) et remonter au cœur de la cellule.»

«C’est un mécanisme qui n’a pas encore été décrit. Il y a une dizaine d’années, des chercheurs américains s’étaient intéressés à cette voie, mais ils avaient échoué car ils n’avaient pas les outils»

Le Dr Eléni Tzavara

«La dépression est une maladie multifactorielle complexe. Elle peut être très génétique ou très environnementale, sachant que l’environnement agit sur l’expression du génome (épigénétique). La voie biologique intracellulaire que nous avons découverte est assez spécifique de la part biologique de la dépression», remarque le Dr Raoul Belzeaux (Assistance public des hôpitaux de Marseille, Institut des neurosciences de la Timone).

«C’est un mécanisme qui n’a pas encore été décrit, ajoute le Dr Tzavara. Il y a une dizaine d’années, des chercheurs américains s’étaient intéressés à cette voie, mais ils avaient échoué, car ils n’avaient pas les outils suffisants.» Ils avaient envisagé l’ensemble d’une cascade biologique alors que la clé reposait sur la voie de la protéine Elk1 (facteur de transcription). «C’est comme s’ils avaient considéré tout l’arbre alors que nous avons regardé une branche particulière», raconte le Dr Tzavara.

«Une bonne corrélation»

«Cette approche chirurgicale pourrait nous permettre d’éviter les effets indésirables des antidépresseurs classiques», a déclaré le Pr Bruno Giros (CNRS, université McGill). En utilisant la banque de cerveau Douglas-Bell Canada (BCDBC), son équipe a constaté que Elk1 était effectivement surexprimé dans l’hippocampe (zone impliquée dans les émotions) de trente personnes en dépression qui s’étaient suicidées, alors que ça n’était pas le cas dans celui de vingt-deux cerveaux témoins.

À Marseille et à Montréal, ce sont des patients qui ont ensuite été intégrés à l’étude. «On arrive à mesurer l’activité de cette voie biologique par une prise de sang, raconte le Dr Belzeaux, ce qui permet de suivre les variations du biomarqueur en même temps que l’évolution de la dépression.» Les chercheurs ont alors observé que la baisse de l’activité de Elk1 témoignait de l’amélioration des symptômes chez des patients sous traitement d’antidépresseurs et d’un risque de rechute lorsqu’elle restait élevée. «Ce n’est pas une corrélation absolue, mais c’est une bonne corrélation. Peut-être que ce marqueur est meilleur chez certains que chez d’autres.»

«Le médicament agit au cœur des neurones, ce qui devrait permettre d’être plus spécifique et d’agir plus rapidement que les antidépresseurs qui agissent à la surface des cellules»

Les docteurs Belzeaux et Tzavara

Dans un article de 2012, le Dr Gustavo Turecki et ses collègues du groupe d’étude sur le suicide de l’université McGill rappelaient déjà que, pour un certain nombre de personnes manifestant des comportements suicidaires dans un contexte dépressif, de nombreuses données «suggèrent que l’adversité rencontrée tôt dans la vie pouvait accroître le risque de suicide en induisant des changements épigénétiques» portant sur les systèmes cérébraux de régulation du stress.

«On sait qu’Elk1 est beaucoup modifiée par le stress, il va maintenant falloir voir si cette voie est impliquée dans la susceptibilité individuelle de développer une dépression», explique le Dr Tzavara. La découverte pourrait ainsi permettre potentiellement d’identifier les personnes à risque de dépression prolongée ou résistante aux traitements. «C’est un système dynamique, l’hypothèse est qu’un traumatisme altère Elk1, mais si le système s’adapte grâce aux ressources psychologiques de la personne ou aux antidépresseurs, l’individu va surmonter l’adversité, souligne le Dr Belzeaux, en revanche, s’il ne s’adapte pas, ce sera très difficile de refaire fonctionner correctement cette voie.»

Dans des modèles animaux de la dépression, les chercheurs ont déjà pu vérifier l’implication de la voie Elk1, mais aussi qu’il était possible d’agir sur cette voie grâce à un peptide, qui a fait l’objet d’un brevet. «Le médicament agit au cœur des neurones, ce qui devrait permettre d’être plus spécifique et d’agir plus rapidement que les antidépresseurs qui agissent à la surface des cellules et peut-être en adjuvant (en association aux antidépresseurs)», espèrent le Dr Belzeaux et le Dr Tzavara.

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