Connue depuis une vingtaine d'années, la thérapie miroir permet d'accélérer la rééducation des membres, notamment après un AVC, ou de traiter les douleurs des membres fantômes après une amputation. Cependant, matériellement compliquée à mettre en place, elle est peu utilisée. Pour y remédier, la startup française Dessintey a développé un dispositif certifié en mai 2018, nommé IVS3, permettant de faire de la thérapie miroir... Sans miroir ! Avec son interface interactive et son algorithme intelligent, IVS3 semble d'ores et déjà adoptée par les patients et professionnels de la rééducation dans les 11 centres déjà équipés. Sciences et Avenir est donc parti en reportage à la Clinique des Trois Soleils (Île de France), pour découvrir comment l'innovation peut remettre d'actualité une technique dont la mise en pratique artisanale limitait jusque-là les bénéfices.
THERAPIE MIROIR. La thérapie miroir est une technique de rééducation datant des années 90. Elle "utilise des fonctions assez récemment identifiées du cerveau, c'est à dire la possibilité d'activer les zones cérébrales de la motricité par la perception", explique le Dr Christophe Duret, médecin spécialiste de la rééducation à la Clinique des Trois Soleils. Originellement, le principe de la thérapie miroir consiste à faire bouger son membre valide devant un miroir afin de faire croire au cerveau que c'est le membre endommagé qu'il est en train de voir. En réalité, le bras non valide est caché derrière le miroir placé entre les deux bras du patient. En effet, on sait aujourd'hui que la perception du mouvement active les mêmes zones du cerveau que le mouvement lui-même, accélérant la rééducation. "Le principe a d'abord été mis en avant sur les douleurs des membres fantômes des amputés", explique le Dr Duret, "et plus récemment, il y a une quinzaine d'années, aux Etats-Unis, chez les patients atteints d'un AVC". "C'est le Pr Pascal Giraux au CHU de Saint Etienne qui l'a ensuite importée, expérimentée et développée depuis dans son service à Saint Etienne", raconte le Dr Duret.
Un algorithme et un écran plat pour remplacer un "dispositif de l'âge de pierre"
Le Pr Giraux est justement un des 3 cofondateurs de Dessintey, qu'il a créée en 2017. Leur premier produit permet de faciliter l'accès à la thérapie miroir pour la rééducation des bras et mains uniquement et en augmenter l'efficacité grâce aux nouvelles technologies. IVS3 comprend ainsi une console de commande accolée à un large écran plat. Ce dernier est fixé au-dessus d'une table de façon à permettre au patient de poser son bras invalide en dessous. A l'écran, le bras valide préalablement filmé exécute des exercices. Le choix de ces exercices se fait grâce à un questionnaire d'une vingtaine de minutes, permettant de déterminer le seuil de mobilité et de douleur du patient vis-à-vis de son membre en difficulté. Le dispositif IVS3 intègre ensuite ces informations pour proposer, grâce à un algorithme développé par Dessintey, une sélection parmi environ 400 exercices. Cet algorithme intelligent "intègre des années d'expérience" pour "proposer des exercices adaptés à la déficience motrice du patient, et assez variés pour entretenir sa motivation", explique Nicolas Fournier, co-fondateur et PDG de Dessintey. Au professionnel ensuite de valider ou modifier les séquences d'exercices proposés. Pour le Dr Duret, l'ancienne version de la thérapie miroir était "un dispositif de l'âge de pierre" par rapport à l'innovation de Dessintey. "Cette thérapie s'attache à traiter la problématique qui est un vrai challenge : la paralysie du bras", explique le Dr Duret, un des premiers prescripteurs du dispositif IVS3. Car après un AVC, "seuls 20% des patients" récupèreront "une habileté totale de la fonction du bras", des chiffres qu'il estime "insupportables" en 2018.
Certains patients ressentent des effets dès la première séance
Au centre des Trois Soleils où l'IVS3 est installé depuis à peine un mois, la thérapie miroir était déjà utilisée depuis 5 ans, mais pas forcément aussi souvent qu'elle aurait pu l'être. "Je ne faisais pas de thérapie miroir" avant le dispositif IVS3, explique l'ergothérapeute Anne-Gaëlle Grosmaire, "car cela imprime au cerveau seulement un mouvement réalisé par les deux bras en même temps, alors qu'en ergothérapie nous cherchons justement à obtenir des mouvements indépendants de chaque membre". En effet, avec IVS3, les mouvements sont enregistrés par le bras valide au préalable. Ainsi, pendant l'exercice, seul le bras invalide bouge sous l'écran retransmettant les mouvements. "De cette manière, toutes les sensations sont concentrées sur le bras qui a des difficultés", explique-t-elle.
Et des sensations, les patients en ressentent parfois dès la première utilisation. "La première fois que j'ai utilisé la thérapie miroir (avec le dispositif IVS3), je percevais comme des frissons, des petits influx nerveux dans le bras et les doigts", raconte Vincent Thirion, patient au centre depuis un AVC qui lui a notamment fait perdre l'usage de son bras gauche. "Par rapport à la thérapie miroir classique, l'illusion est meilleure avec la machine", témoigne Paco Lamon, un second patient ayant lui aussi perdu la mobilité de son bras gauche après un AVC. "Avec l'ancienne méthode j'avais le reflet des autres personnes dans le miroir, donc je voyais que c'était mon reflet", se souvient-il. "Cet appareil génère des sensations qui n'ont jamais été signalées par d'autres patients avec des thérapies différentes", confirme le Dr Duret, "On a une impression d'immédiateté dans le ressenti des patients et c'est assez troublant".
"Sur le mental ça joue beaucoup, parce qu'on a l'impression que c'est nous qui faisons le mouvement", ajoute Paco Lamon, "certaines fois on arrive vraiment à ressentir la sensation que le bras bouge, et ça fait du bien, ça positive vraiment la séance". Une satisfaction constituant une source de motivation essentielle lorsqu'on sait que la rééducation post AVC dure plusieurs mois voire des années. "Au lieu de constater une inertie jour après jour malgré les soins, il gagne en motivation, en implication et en récupération", déclare le Dr Duret avec satisfaction. "La thérapie miroir fait comprendre au cerveau que tout est possible", s'enthousiasme Vincent Thirion.
Côté professionnel aussi l'enthousiasme est palpable. Ce dispositif "permet d'augmenter le temps de prise en charge des patients puisqu'il est autonome pendant l'usage de la machine", explique Anne-Gaëlle Grosmaire, "c'est un gain de temps et d'énergie important". "Pour moi c'est adopté, c'est un bon outil complémentaire de ceux que l'on a déjà", conclut-elle. Pour le Dr Duret, le centre aura le recul nécessaire sur les bénéfices de cette thérapie d'ici 6 à 12 mois.
11 CENTRES DEJA EQUIPES. Début mai 2018, le dispositif IVS3 a obtenu le marquage CE, permettant à Dessintey d'équiper les centres de rééducation. "11 équipements sont aujourd'hui sur le terrain et utilisés quotidiennement par les patients", explique Nicolas Fournier, pour qui "l'enjeu sera très vite international, car il y a 16 millions d'AVC par an dans le monde". La startup, qui compte aujourd'hui 5 employés, a pour vocation de développer des technologies de rééducation intensives pour accélérer le retour à l'autonomie des patients avec "d'autres dispositifs complémentaires du premier".
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