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VIDEO.Médecine: «Les gens connaissent très mal l'univers de l'hôpital psychiatrique» - 20 Minutes

Claire Le Men, 28 ans, publie sa première BD où elle retrace dans un récit romancé son premier stage en tant qu'interne en psychiatrie. — O. Gabriel / 20 Minutes
  • Claire Le Men a choisi, après des études de médecine et quatre stages en psychiatrie, de devenir auteure de bande dessinée.
  • Elle dévoile dans Le Syndrome de l’imposteur, qui sort ce jeudi, ses premiers pas d’interne dans un service de psychiatrie.
  • Entre les personnes hospitalisées en unité pour malades difficiles (UMD) et des services à bout de souffle, elle parvient à décrire cet univers avec tendresse et humour.

C’est un sujet qui ne prête pas à rire. Depuis quelques mois, la psychiatrie en crise, parent pauvre de notre système de santé, attire la lumière et préoccupe jusqu’à la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. Claire Le Men, 28 ans, a choisi la bande dessinée pour raconter son premier stage en tant qu’interne en psychiatrie dans un service en grève, il y a trois ans. Le tout avec humour et recul. Elle publie son premier ouvrage, Le Syndrome de l’imposteur, parcours d’une interne en psychiatrie*ce jeudi, dans lequel on suit les premiers pas et doutes de son alter ego, Lucile, qui débarque dans une  unité pour malades difficiles (UMD) d’un hôpital. Aujourd’hui, Claire a définitivement troqué le stéthoscope pour le crayon. Chemise en jean, grand sourire et boucles blondes, la jeune bédéaste, de passage à la rédaction de 20 Minutes, a accepté de dessiner quelques cases et de nous expliquer sa vision de la psychiatrie.

La BD était-elle une passion d’enfance ?

Oui, dès l’âge de 8 ans, je dessinais dans des carnets de bord et de voyages de petites anecdotes, plutôt sur un ton humoristique. Ma mère est professeure d’histoire de l’art, elle m’emmenait beaucoup au musée et passait des heures devant les tableaux. Moi, je n’avais rien d’autre à faire que dessiner.

Pourquoi avoir choisi de raconter votre internat en psychiatrie ?

Dès le début de mon internat, j’ai eu envie de tout raconter en BD, car j’avais déjà le secret espoir de devenir bédéaste. Au bout de trois stages, j’ai pris une année sabbatique pour faire autre chose que de la médecine, et notamment un stage de dessin. Le directeur de l’école m’a dit qu’il n’y avait pas de bande dessinée sur le quotidien des soignants à l’hôpital. De manière générale, les gens semblent très intéressés par la psychiatrie, mais connaissent très mal cet univers. Par exemple, mes proches étaient surpris d’apprendre que les patients quittent un jour de l’hôpital… La BD, c’était une bonne façon de casser les préjugés sur les patients souffrant de maladies mentales.

N’aviez-vous pas peur de violer le secret médical, ou tout simplement de trahir la confiance des patients ?

J’ai pris le parti de ne pas parler des patients directement, mais plutôt de dévoiler mes impressions à travers le personnage de Lucile. Des anecdotes sur l’UMD, j’en aurais eu des milliers ! Mais cela aurait ressemblé à de la curiosité malvenue. Et par respect, j’ai anonymisé les patients. J’avais envie que le lecteur essaie de se mettre à la place de ces personnes lors d’une crise. Et pour que le lecteur s’identifie pleinement, c’est mon propre personnage, Lucile, qui traverse un délire schizophrénique. Quand on ne le sait pas, on ne se rend pas forcément compte que le patient vit des choses très difficiles…

Un service psychiatrique, et qui plus est une unité pour malades difficiles (UMD), est un lieu secret. Qu’espérez-vous que le grand public retienne ?

La première chose que l’on apprend en médecine, quand on va en psychiatrie, c’est que les patients sont plus vulnérables que dangereux. Une information que le grand public ignore. Je trouvais aussi intéressant de questionner les rôles des professionnels. Car dans l’UMD, justice et psychiatrie se rencontrent, et parfois se contredisent. On se rend compte que la vérité n’est pas la même pour tous. Je raconte par exemple le cas d’une agression. Pour la justice, le fait que la personne soit alcoolisée est une circonstance aggravante, alors qu’en médecine, l’alcool est une addiction, et donc une maladie mentale dont la personne est victime.

Claire Le Men, auteure du Syndrome de l'imposteur, parcours d'une interne en psychiatrie, est venue à la rédaction pour dessiner et répondre à quelques questions sur son parcours atypique.
Claire Le Men, auteure du Syndrome de l'imposteur, parcours d'une interne en psychiatrie, est venue à la rédaction pour dessiner et répondre à quelques questions sur son parcours atypique. - O. Gabriel / 20 Minutes

Qu’avez-vous découvert durant votre internat ?

Cela a été un vrai choc, même si j’ai adoré. Après toutes les études théoriques, l’application est tellement différente. Pendant l’internat, on se retrouve confronté aux conflits institutionnels, au côté politique, et puis on est tout le temps avec des gens, praticiens ou patients. C’est seulement à ce moment que je me suis rendu compte que j’étais une solitaire. Après une journée dans le service, je n’avais plus aucune patience pour écouter d’autres histoires le soir… Enfin, la troisième découverte, c’est combien la pratique ne se passe pas comme dans les cas cliniques. En théorie, les tableaux des maladies sont clairs, on sait comment réagir. Dans la vraie vie, c’est toujours trouble, ce n’est pas parce que tu fais bien ton travail que ton patient va guérir. Je n’avais pas du tout anticipé la tempête de questionnements à laquelle j’ai été confrontée : Qui ai-je aidé ? Est-ce que ce cadre est le meilleur pour ces patients ? De plus, la psychiatrie est très hétérogène, avec des orientations différentes : psychanalytique, comportementaliste, neuroscientifique… Je passais d’un stage où un concept était moqué à de nouveaux collègues qui ne juraient que par ce même concept. J’étais sans cesse en train de me poser des questions, c’était l’enfer.

Pourquoi avoir décidé de quitter la psychiatrie ?

J’ai pris une année de disponibilité après un semestre de grande désillusion, dans un service qui était censé être génial, mais qui s’est avéré plutôt dystopique. Il était conçu pour les médecins, mais pas pour les malades. Ce qui intéressait les gens, notamment les universitaires, c’était les patients sur lesquels ils pourraient écrire une thèse. J’ai vraiment douté de ma vocation. Après mon année de pause, j’ai repris l’internat. Mais après un bon semestre, je me suis dit que même dans les conditions parfaites, je n’étais pas du tout aussi épanouie que quand je faisais de la BD. J’ai donc fait un choix, que je ne regrette pas du tout.

Soigner sous contrainte, c’est assez contradictoire, non ?

C’est une grande partie du métier. Il s’agit d’un pan de la médecine où l’on rencontre beaucoup de problèmes éthiques, par exemple lorsque l’on hospitalise quelqu’un de force. Dans certains services, la contention et l’isolement ne sont pas remis en question, ça devient une habitude. Et il y a des situations où il est compliqué de faire sans. C’est facile de jeter la pierre aux soignants, mais ils ne peuvent pas gérer quand ils sont trop peu.

Justement, vous montrez un système qui ne va pas bien. Dès la première image, Lucile débarque dans un service en grève. Souhaitiez-vous aussi illustrer la crise que traverse actuellement la psychiatrie ?

Claire Le Men raconte son expérience d'interne en psychiatrie dans Le Syndrome de l'imposteur, une BD sur la psychiatrie.
Claire Le Men raconte son expérience d'interne en psychiatrie dans Le Syndrome de l'imposteur, une BD sur la psychiatrie. - Claire Le Men / La Découverte

Quand j’ai écrit cette bande dessinée, il y a trois ans, on ne parlait pas autant du malaise en psychiatrie. Mais c’est véridique, j’ai commencé mon internat lors d’une grève. Et c’est une ambiance que j’ai retrouvée dans les stages suivants : il y avait beaucoup de revendications sur les conditions de travail. Le climat tendu, ce n’est pas une fatalité, mais un manque de moyens. C’est bien qu’il y ait une prise de conscience des difficultés de la psychiatrie, on ne s’en est pas occupé pendant des années et là, on touche le fond. Depuis août dernier, on a vu de grandes grèves dans certains services, le printemps de la psychiatrie, certains médias qui dénoncent des pratiques abusives de contention… Il y a trente ans, le monde nous enviait notre psychiatrie, ce n’est plus le cas aujourd’hui.

Comment les choses pourraient-elles changer ?

Il faudrait qu’il y ait davantage de moyens, mais aussi davantage de formations pour les internes. J’ai su que je voulais faire de la psychiatrie dès la 4e année de médecine. Mais comme en France, on a une culture du concours, j’ai appris des milliards de choses inutiles. Et ensuite, en tant qu’interne en psychiatrie, je me suis sentie démunie. De nombreux internes se sentent incultes, alors qu’avoir davantage de cours sur l’histoire de la psychiatrie, par exemple, nous aiderait à mieux penser notre travail. Mais quand tu termines tard, tu n’as pas forcément envie de lire L’Histoire de la folie de Michel Foucault

* Le Syndrome de l’imposteur, parcours d’une interne en psychiatrie, La Découverte, 2 mai 2019, 17 euros.

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