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Stéphane Debove, biologiste : "Pas de vaccin contre le coronavirus efficace avant 18 mois" - LaDepeche.fr

Interview de Stéphane Debove, docteur en biologie de l’évolution.

Revenons aux origines de la pandémie : la théorie d’une contamination de l’homme par un animal sauvage sur un marché de Wuhan en Chine est-elle définitivement validée par la science ?

Définitivement, non. Mais c’est toujours l’hypothèse fortement privilégiée à l’heure actuelle. Le génome de Sars-Cov-2 (le nom du coronavirus qui nous préoccupe actuellement) est en effet similaire à 96 % à celui d’un coronavirus déjà connu chez la chauve-souris, et très similaire aussi au génome d’un coronavirus de pangolin (1). Or, dans la région de Chine où l’épidémie a démarré, des chauves-souris cohabitent avec des pangolins et le marché de Wuhan est connu pour vendre des animaux sauvages. Les chances de transmission de virus d’animaux à humain y sont donc très fortement augmentées.

Les zoonoses, ces maladies transmissibles entre espèces, sont-elles fréquentes ? Et lorsqu’elles se produisent, s’expliquent-elles par la mutation d’un virus ?

Oui, ces maladies sont assez fréquentes. La rage, la grippe aviaire, le SIDA et le SARS de 2003 sont tous des exemples de zoonoses. Des chercheurs estiment même qu’une grosse partie des maladies humaines connues auraient été d’origine animale initialement. On ne sait pas vraiment si les zoonoses deviennent plus fréquentes qu’autrefois. D’un côté, il semblerait que l’humanité mange moins d’animaux sauvages, réduisant les chances qu’un virus saute d’une espèce à l’autre. D’un autre côté, l’augmentation de la population humaine et la destruction des habitats des animaux sauvages font que les contacts entre ceux-ci sont plus fréquents.

Il n’y a pas forcément besoin d’une mutation nouvelle pour créer une zoonose. Il suffit qu’une espèce sauvage porteuse d’un virus qui peut contaminer la nôtre entre en contact avec l’humain. Mais il arrive aussi qu’une population sauvage soit déjà en contact avec des populations humaines sans que le virus ne puisse passer d’une espèce à l’autre. Dans ce cas, ce sera bien une (ou des) mutations qui permettront la zoonose.

Stéphane Debove. / DR
Stéphane Debove. / DR

Le changement climatique, et plus globalement la question environnementale, peuvent-ils avoir joué un rôle quelconque  dans l’épidémie actuelle et celles qui pourraient encore survenir ?

Oui, ils le peuvent. Comme précisé plus haut, la destruction des habitats et des écosystèmes, la déforestation, le braconnage, la consommation d’animaux sauvages ont pu contribuer à mettre l’humain en contact avec des populations d’animaux sauvages auxquelles il n’était pas exposé jusqu’à présent. Il est vrai que l’on a tendance à traiter la question écologique indépendamment de la question sanitaire, mais tout est lié. De plus, régler les problèmes localement ne servira à rien. On voit bien que la crise sanitaire actuelle en France a pris son origine en Chine. Lorsque le moment sera venu de tirer des leçons de cette pandémie, j’espère que la question environnementale ne sera pas oubliée, et traitée au niveau international.

Que savons-nous aujourd’hui de la famille des coronaviru et du Covid-19 en particulier ?

Il est de coutume de distinguer la maladie (la Covid-19) du virus qui cause cette maladie (le Sars-Cov-2). Concernant le Sars-Cov-2, c’est un virus de la famille des coronavirus, une famille de virus très grande que l’on retrouve souvent chez les oiseaux, les bovins, les canidés, mais aussi chez l’humain : certains rhumes bénins que l’on attrape chaque année sont causés par un virus de la famille des coronavirus… Cette famille tient son nom de son apparence lorsque les virus sont observés au microscope : on observe une apparence en "couronne" du fait de protéines parsemées à sa surface. Les coronavirus sont connus depuis des dizaines d’années, mais leur dangerosité varie beaucoup. Si certains coronavirus ne déclenchent qu’un rhume, Sars-Cov-2 cause des symptômes plus graves bien connus de tous maintenant : fièvre, toux, difficultés à respirer, pouvant évoluer vers un décès chez les personnes les plus fragiles.

Diriez-vous, pour ce que vous en savez, que l’épidémie de "grippe espagnole" de 1919 a également été causée par un coronavirus ?

Non, l’épidémie de grippe espagnole a été causée par un virus de type H1N1 (virus de la grippe A) qui n’appartient pas à la famille des coronavirus.

Vous dites que depuis le début de l’épidémie, le coronavirus évolue à raison d’environ deux mutations par mois. En quoi consisten ces évolutions, rendent-elles le virus plus dangereux, plus résistant ?

Ces évolutions correspondent à des changements dans la séquence génétique du virus. Il n’y a pas à avoir peur du mot "mutation" ou "mutant", même si les films hollywoodiens nous ont appris le contraire. À chaque fois que le virus se reproduit, il existe une toute petite chance pour que sa séquence génétique ne soit pas reproduite à l’identique. Quand c’est le cas, on est en présence d’une "mutation", que les chercheurs qui étudient Sars-Cov-2 depuis des semaines peuvent repérer. Mais la très grande majorité de ces mutations n’aura aucun effet sur la dangerosité du virus. Si on se base sur notre expérience passée avec d’autres coronavirus, il pourrait se passer plusieurs années avant que Sars-Cov-2 ne subisse une mutation qui change sa dangerosité pour l’humain. On peut bien sûr toujours se tromper, mais il n’y a pas de raison d’être plus inquiet pour Sars-Cov-2 que pour d’autres virus similaires.

Plusieurs laboratoires à travers le monde sont engagés dans la course au vaccin contre le Covid-19. Quand pouvons-nous espérer un résultat ?

Les premiers résultats sur l’efficacité d’un vaccin seront probablement obtenus d’ici quelques mois, mais pour que ce vaccin soit effectivement produit en grande quantité et à l’échelle mondiale, il faudra bien plus de temps. Le chiffre de 18 mois est régulièrement avancé, et certains le considèrent optimiste.

Faute de vaccin pour l’instant, le confinement est-il la bonne solution pour combattre la propagation du virus ?

Disons que pour la France, c’est la seule stratégie dont nous disposons actuellement. D’autres pays comme la Corée du Sud ont mis en place d’autres stratégies, comme le dépistage massif ou le suivi numérique des personnes infectées, mais ces pays avaient pour la plupart été exposés à d’autres épidémies ces dernières années, et avaient donc anticipé. En France, pour des raisons qui peuvent être bonnes ou mauvaises, nous n’avons pas choisi de nous aligner sur les stratégies de ces pays. La seule stratégie possible alternative au confinement aurait été de laisser le virus se répandre dans la population pour qu’une proportion suffisante de gens développe une immunité (ce que l’on a nommé la stratégie d’immunité de groupe). Mais cette stratégie a rapidement été abandonnée, car des modèles ont montré qu’elle aurait comme conséquence "annexe" de faire quelques centaines de milliers de morts rien qu’en France. Le confinement semble donc bien être la bonne solution, car c’est peut-être malheureusement la seule dont nous disposons à ce jour en France.

Le docteur en biologie de l’évolution que vous êtes a-t-il un avis sur le traitement des malades à la chloroquine du professeur Raoult ?

Même si je ne travaille pas dans le domaine médical, je peux lire et comprendre les études et j’ai pu me rendre compte, comme un très grand nombre de chercheurs à travers le monde, que l’étude du Pr Raoult souffrait de faiblesses qui ne permettent pas de conclure à l’efficacité des traitements étudiés. Par ailleurs, j’écoute l’avis de mes collègues dans le domaine biomédical quand ils disent que la chloroquine ou d’autres dérivés peuvent avoir des effets secondaires non négligeables, en particulier chez des personnes déjà affaiblies. Je les écoute aussi quand ils disent que cette polémique crée des tensions inutiles en interne dans les hôpitaux, et qu’il est possible de mettre en place des essais cliniques sérieux même dans l’urgence. Par conséquent, je trouve que l’annonce de l’efficacité de ces traitements n’avait pas vraiment de raison d’être – même si je serai le premier ravi que les études qui sont maintenant menées avec sérieux trouvent le traitement efficace. J’espère que nous arriverons à tirer des leçons de cette affaire afin de ne pas reproduire les mêmes erreurs lors des prochaines crises sanitaires.

L’Occitanie compte actuellement au nombre des régions les moins touchées par le virus. Comment s’expliquent de telles disparités, par exemple avec l’est de la France ?

Il existe probablement des facteurs intrinsèques et des facteurs plus aléatoires. La faible densité de population de certains départements d’Occitanie est évidemment un frein à la progression du virus : s’il n’y a pas d’humains à contaminer, le virus ne se propage pas. Mais il se peut aussi que l’est de la France ait eu de la "malchance", par exemple en accueillant au mauvais moment des concentrations énormes de personnes qui contenaient quelques malades, comme le rassemblement évangélique dont on a beaucoup parlé.

Comment voyez-vous la suite ? Faut-il craindre une "réplique" quand le monde sera sorti de l’épisode épidémique ?

L’avenir est toujours dur à prévoir, mais d’après les experts, nous en avons encore pour plusieurs semaines de confinement (il y en a eu 7-8 en tout pour la Chine). Puis viendra une période incertaine pour laquelle des experts préconisent un confinement partiel (par région ou par semaine), en fonction des résurgences locales de l’épidémie. Mais tout cela dépendra fortement des avancées de la recherche dans les prochaines semaines : par exemple, si nous arrivons à produire en masse des tests qui permettent de détecter les personnes ayant déjà été infectées (et étant donc immunisées), il sera peut-être possible de les déconfiner. L’impact du confinement sur l’économie et la santé mentale et physique des Français devrait aussi être discuté dans les semaines qui viennent. À plus long terme, d’autres épidémies sont à prévoir, qu’elles soient causées par le même virus ou d’autres. C’est pour cela qu’il faut que l’on tire toutes les leçons de la crise qui nous touche actuellement.

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