Alors que la France est touchée par une deuxième vague épidémique de Covid-19, Le Monde relance ce « journal de crise » pour raconter le quotidien des « blouses blanches ». Comme au printemps, lors du premier confinement, une dizaine de soignants, qu’ils soient hospitaliers, généralistes, infirmiers, urgentistes ou psychiatres ont accepté de nous raconter leur quotidien face à la pandémie de Covid-19. Chaque week-end, nous publions une sélection de leurs témoignages.
« Des familles craignent que leurs parents ne se fassent injecter un produit qui n’est pas encore sûr »
Marie-Amélie Cloez, 31 ans, élève-directrice dans un Ehpad à Châlons-en-Champagne
« Le vaccin arrive. Nous entrons dans une nouvelle étape de la lutte contre la pandémie. Le ministère de la santé a contacté le pharmacien de l’établissement pour qu’il envoie un recensement précis des réfrigérateurs spéciaux permettant de stocker des produits à des températures de − 80 °C. Nous nous sommes donc mis en ordre de bataille pour pouvoir prochainement diffuser les vaccins auprès de nos résidents.
La première étape est d’obtenir un consentement. La majorité des personnes qui vivent dans notre Ehpad [établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes] sont atteintes de troubles cognitifs, Alzheimer, Parkinson et d’autres pathologies du même type. Nous avons demandé de l’information auprès du tribunal d’instance pour adopter la bonne démarche sur le plan juridique. Nous devons toujours chercher un consentement éclairé, même des personnes les plus fragiles, il faut donc expliquer, faire comprendre l’enjeu de cette vaccination.
Ensuite, si les résidents sont sous tutelle, c’est auprès des familles qu’il faut recueillir le consentement. La démarche ne sera pas simple. Nous avons déjà reçu de nombreux appels téléphoniques de proches, très méfiants vis-à-vis des vaccins. Des familles craignent que leurs parents ne se fassent injecter un produit qui n’est pas encore sûr. Nous devons faire preuve de pédagogie, expliquer, rassurer les résidents et leurs proches. Cette adhésion est primordiale pour tous, pour les protéger et protéger les soignants, car le vaccin n’est pas obligatoire.
Concernant la période des fêtes, nous nous inquiétions d’une montée en puissance du nombre de demandes de sortie des résidents par les familles, le temps des célébrations. A notre étonnement, elles étaient restées dans la prudence, craignant de mettre leurs anciens en danger. Maintenant que le premier ministre a annoncé que Noël pourra être fêté, nous ne sommes pas à l’abri d’un déferlement de demandes pour le 24 décembre. »
« Grâce aux mesures barrières, il y a un effondrement des traditionnelles pathologies hivernales »
Damien Pollet, 58 ans, médecin généraliste à Salins-les-Bains (Jura)
« Dans les cabinets médicaux de ville, il y a une baisse générale d’activité. J’ai plusieurs confrères qui me disent qu’ils n’ont jamais eu un automne aussi calme. Moi-même, j’ai perdu, depuis le début de l’année, 30 % de mon activité. Actuellement, je ne vois plus de grippe, de bronchite, de rhino-pharyngite, de bronchiolite, de gastro-entérite… Il y a un effondrement des traditionnelles pathologies hivernales du fait des mesures barrières. C’est bien simple, par exemple, je ne vois plus un seul gamin ! Le lavage des mains, le port du masque, la distanciation sont très efficaces pour diminuer les infections virales.
Quant au Covid-19, au plus fort de la crise fin octobre-début novembre, je voyais six ou sept cas par jour. Il faut se rendre compte que les années précédentes, lorsqu’il y avait de fortes épidémies de grippe, je pouvais avoir jusqu’à 20 cas de grippe par jour.
Désormais, on voit davantage de gens déprimés que de patients directement touchés par le Covid-19. Quant au vaccin, je me ferai vacciner, c’est certain, dès que ce sera le tour des soignants. Il faut prendre le risque du vaccin même si des questions demeurent sur la durée de sa couverture et les potentiels effets secondaires. Sinon, on n’en sortira pas et il y aura une nouvelle vague mi-janvier 2021.
Il faut protéger nos anciens pour qu’ils puissent se “désenclaver”. On doit se dire qu’on ne vaccine pas contre le virus mais contre une mort programmée par isolement et dépression. L’enjeu, c’est de leur permettre de revivre. C’est un vaccin contre la crise.
Quant à Noël, imaginez si, au sein des familles, des personnes se retrouvent malades en janvier parce qu’elles se seront rassemblées. Quelle sera l’ambiance ? Quelles seront leurs réactions ? »
« Je suis débordée par ce que je vois, ce que j’entends »
Nathalie Leblanc, psychiatre en libéral dans le 15e arrondissement de Paris et formatrice pour l’association Suicide écoute
« Les demandes affluent. Le centre médico-psychologique [un établissement public] le plus proche de mon cabinet, lui aussi dépassé, fait appel à nous, ce n’était jamais arrivé. C’est dire la crise que nous vivons. Les patients ne supportent plus, dans leur majorité, le confinement. Les nouvelles annonces ne vont que renforcer l’angoisse devant cette situation dont on ne voit pas le bout. La série d’interdictions, d’empêchements et de contradictions devient insupportable. Et le manque de perspectives accroît le sentiment de désespoir, d’impuissance, d’absence de “vie possible”.
La situation est vraiment grave, j’en constate les répercussions tous les jours, avec ceux qui fuient dans l’alcool, les médicaments, tous ceux qui se mettent en danger. Parmi mes patients, nombreux sont ceux qui ont leur vie professionnelle bouleversée. Je pense en particulier à un chanteur lyrique pour qui la période devient dramatique. Sans revenu, comment faire ?
Nous aussi, les professionnels, sommes profondément impactés. Le champ des possibilités qui s’offrent à nous est terriblement réduit. Je suis débordée par ce que je vois, ce que j’entends, je suis dans l’impuissance.
Quant au vaccin, je ne suis pas sûre de me faire vacciner tout de suite. Je n’ai pas assez de données, j’attends des réponses. Et je suis incapable, aujourd’hui, de répondre à mes patients qui me demandent s’il faut se faire vacciner. »
« On est dans un entre-deux difficile à gérer pour tout le monde »
Mathias Wargon, 53 ans, chef des urgences à l’hôpital Delafontaine, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)
« Chaque semaine, c’est un peu la même litanie. On nous promet des annonces tonitruantes. Les ministres, à commencer par le premier d’entre eux, se relaient selon le même protocole solennel diffusé en direct par les chaînes d’info en continu. Et chaque fois, ça débouche sur pas grand-chose. On ne sait pas trop où on va. On est dans un entre-deux difficile à gérer pour tout le monde et peu compréhensible.
On est face un discours très ambigu. On peut fêter Noël mais pas le Jour de l’an. On ne peut pas aller au théâtre mais on peut aller dans les magasins, où les gestes barrières ne sont pas toujours respectés. On doit sortir avec des attestations mais elles ne sont pas contrôlées. Moi le premier, je le reconnais, je ne les remplis pas toujours. On dit qu’on est confiné mais depuis les premiers jours, le confinement n’est pas respecté. On est en permanence dans le “en même temps”. Il n’y a pas de ligne.
Je ne jette pas la pierre à l’Etat. Cette ambiguïté, elle nous concerne tous. Personne ne veut de troisième vague, mais personne ne veut non plus qu’on lui impose des mesures contraignantes. On est tous pareils. C’est aussi valable pour le vaccin. On le veut et on le refuse à la fois. Il suscite beaucoup d’attentes car on n’a pas d’autres solutions et autant d’inquiétudes car on n’a pas de recul sur ses effets éventuels.
A l’hôpital, on est aussi dans cet entre-deux bizarre. En Ile-de-France, la deuxième vague n’a pas été la catastrophe tant redoutée, on commence doucement à reprogrammer, mais on a peur d’une troisième vague avec les fêtes de Noël. »
« Les médecins sont comme tout le monde, ils aiment voir leurs familles »
Thomas Gille, 39 ans, pneumologue à l’hôpital Avicenne de Bobigny (Seine-Saint-Denis)
« La décrue a été moins massive qu’espéré. Nous sommes à un plateau assez haut et avec des indicateurs en ville qui ne sont pas bons : que ce soit ceux des laboratoires, des appels à SOS-Médecins, au SAMU [service d’aide médicale urgente]… Or, on sait que ce sont des indicateurs précoces qui finissent par se répercuter sur l’hôpital deux, trois semaines plus tard.
Le risque est d’avoir une activité hospitalière qui remonte pendant les fêtes, fin décembre-début janvier. Ce n’est pas encourageant, surtout que les vacances de fin d’année représentent un risque supplémentaire, dont les conséquences ne seront visibles que mi-janvier…
Les fêtes, c’est un équilibre difficile à trouver. D’un point de vue strictement sanitaire, il faudrait réduire les réunions de famille au maximum, mais c’est difficile de le demander… Moi le premier, je vais voir mes parents même si on respectera la jauge. J’entends des pseudo-intellectuels dire que les médecins sont favorables à une prétendue “dictature sanitaire”, mais les médecins sont comme tout le monde, ils aiment voir leur famille, leurs amis au bar ou au restaurant…
La possibilité de revoir les plannings a été discutée en cellule de crise mais c’est délicat. On ne peut pas être trop coercitif à la fin d’une telle année, au risque d’achever les soignants. On s’organisera au mieux. Pour l’instant, il n’y a pas de consigne d’annulation des vacances ; physiquement, ce serait difficile de s’en remettre.
Je suis toujours mobilisé sur la réévaluation des patients Covid, que ce soit ceux de la première ou de la deuxième vague. Les situations sont très variables : il y a des jeunes, des vieux, certains qui ont des séquelles, d’autres qui ont quasi retrouvé leur état d’avant. J’ai une patiente de 45 ans qui a fait un long séjour en réanimation au printemps puis une autre longue période de convalescence en soins de suite. Je ne pense pas qu’elle récupère un jour une forme musculaire normale. La plupart de mes patients se sont fait une raison, ça tient à leurs conditions de vie. La précarité, c’est quelque chose, de gré ou de force, qui pousse les gens à être résilients. »
« Sur le vaccin, j’entends des trucs délirants »
Slim Hadiji, 46 ans, médecin généraliste dans le 13e arrondissement de Marseille
« Depuis quelques jours, les patients défilent dans mon cabinet et me posent tous la même question : “Docteur, que pensez-vous du vaccin Covid de la télévision ?” La forme de cette interrogation me fait rire, le fond me turlupine. Moi qui suis un médecin provaccin qui, d’habitude, affiche beaucoup de certitudes, j’éprouve du mal à répondre. La complexité de cette pandémie me pousse à réfléchir à deux fois et à m’interroger.
Sur les vaccins, je n’ai pas plus d’informations que celles qui sont données par les firmes pharmaceutiques aux journaux grand public et cela me fait halluciner. Comment la sphère médicale peut-elle en être arrivée à ne pas avoir d’éléments précis sur ce qui est essentiel à sa pratique quotidienne ?
De tout cœur, j’ai foi en la science et j’ai fait du combat contre le Covid-19 dans nos quartiers un défi personnel. Mais des patients sont morts, d’autres subissent des conséquences importantes, il ne faudrait pas ajouter une troisième peine avec des effets négatifs d’un vaccin. En l’absence d’éléments scientifiques fiables nous garantissant l’innocuité de ces produits, on va tout droit vers un fiasco alors que nous sommes à quelques jours du démarrage d’une campagne nationale. Ce flou ajoute au doute et nourrit les idées complotistes. J’entends des trucs délirants. Certains de mes patients croient même à cette fable de puce injectée avec le vaccin qui va capter la 5G…
Ma consigne, aujourd’hui, c’est d’attendre. Comment pourrais-je conseiller un vaccin que je ne vais pas m’injecter moi-même ? Aujourd’hui, il faut renforcer les mesures barrières, amplifier les campagnes de dépistage et isoler de façon cohérente et digne les cas positifs plutôt que de saboter une campagne vaccinale commencée à la va-vite.
On a fait tout un tollé sur la dangerosité de l’hydroxychloroquine mais là, on débarque avec un nouveau produit et on donne carte blanche pour aller l’injecter chez les personnes les plus fragiles. A-t-on choisi les Ehpad parce que leurs résidents sont les plus à risque ou parce qu’ils n’ont plus grand-chose à perdre ? J’ai peur que cette histoire ne fasse un grand pschitt. »
Retrouvez tous les précédents épisodes du « Journal de crise des blouses blanches », saison 1 et saison 2, ici.
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