Michel n’a jamais entendu de voix. Pourtant, il est atteint de schizophrénie. Un diagnostic qu’il a mis près de quatre ans à accepter en raison des stigmates et amalgames qui lui sont accolés. « C’est une maladie très hétérogène », affirme Boris Chaumette, docteur en psychiatrie et neurosciences, directeur de recherches à l’Inserm et psychiatre au GHU Paris, à Sainte-Anne. Il n’existe donc pas une, mais bien plusieurs schizophrénies, avec chacune des symptômes et un retentissement, c’est-à-dire un impact sur la vie du malade, différents. C'est l'un des messages portés lors des journées mondiales dédiées à cette maladie, qui démarrent ce samedi.
Pour être diagnostiqué, il faut repérer au moins deux symptômes parmi les trois catégories suivantes : des symptômes positifs, tels que des délires et des hallucinations ; des symptômes négatifs, comme un retrait social, une émotivité réduite ou un manque de motivation ; et des symptômes dissociatifs, que ce soit une désorganisation des pensées, de la parole, des émotions ou du comportement. « Il y a donc plein de combinaisons possibles », conclut Fabrice Berna, professeur de psychiatrie à l’Université de Strasbourg et coresponsable du réseau national des Centres Experts FondaMental schizophrénie.
Une dangerosité pour soi
Maximilien, 29 ans, connaît quant à lui très bien les hallucinations, puisque en plus de celles visuelles et tactiles, il vit avec une voix masculine dans sa tête depuis plus d’une dizaine d’années. Il lui a même donné un petit nom : Murphy. « Avant, elle m’incitait à être violent envers les autres ou à me faire du mal. Comme je n’avais pas du tout envie de faire ce genre de choses, je luttais constamment contre cette voix. »
Selon David Masson, interrogé dans un précédent article pour 20 Minutes, il y a une vraie idée reçue selon laquelle les voix prennent le contrôle. Mais ce n'est pas du tout le cas. « On associe violence et schizophrénie alors qu’il s’agit d’une extrême minorité des patients », ajoute Boris Chaumette. Une mauvaise image qui, à l’annonce du diagnostic, pousse parfois les proches du patient à avoir peur du comportement qu'il pourrait avoir à leur égard. Or, « ces patients sont surtout dangereux pour eux-mêmes, poursuit Fabrice Berna. Leurs hallucinations peuvent les conduire à faire des tentatives de suicide. » Un patient schizophrène sur deux tentera de mettre fin à ses jours au cours de sa vie, selon l’Inserm.
Des voix pas toujours présentes
Preuve que les schizophrénies sont diverses, Michel est surtout handicapé au quotidien par une perte de motivation et une difficulté à passer à l’action. « C’est très difficile de me mettre à travailler, par exemple. » Cette apathie s’expliquerait scientifiquement. Dans les années 1960, des chercheurs ont émis une hypothèse selon laquelle la schizophrénie serait, dans certains cas, la conséquence d’un dérèglement dans le cerveau des quantités de dopamine, le neurotransmetteur jouant notamment un rôle dans le plaisir et la motivation. Un excès de dopamine serait responsable des effets positifs cités plus haut, et un déficit des effets négatifs. Le manque de plaisir rendrait, dans le cas de Michel, l’action beaucoup plus difficile à réaliser.
D’autres symptômes viennent compliquer la vie du trentenaire. « Je ne réagis pas comme la plupart des gens. Je n’ai ni les mêmes références, ni la même façon de penser, de regarder les choses ou de me tenir. On me trouve souvent bizarre. » L'homme a beau aller vers les autres et se considérer comme sociable, il reconnaît qu’il a de vraies difficultés à créer du lien et se sent parfois isolé.
Des traitements différents en fonction du type de schizophrénie
Lorsqu’il a fait une crise délirante il y a quelques années, Michel a été mis sous neuroleptique. Sur la durée, ce traitement a renforcé ses symptômes négatifs. « Je dormais plus de vingt heures par jour et je n’avais même plus envie de manger. » De fait, aujourd’hui, beaucoup de patients ne répondent pas aux traitements, estime Boris Chaumette. Connaître la multitude de types de schizophrénie pourrait alors, à l’avenir, permettre de traiter chaque personne différemment.
« On pourrait diminuer les traitements voire les arrêter complètement dans certaines formes, notamment celles où il y a seulement des bouffées délirantes de temps en temps et aucun symptôme entre les crises », propose Fabrice Berna. Il imagine également pouvoir utiliser la stimulation magnétique transcrânienne, une série de courtes impulsions magnétiques dirigées vers le cerveau, pour lutter contre des hallucinations résistantes et des symptômes négatifs ne répondant pas à d’autres traitements.
Boris Chaumette veut aller encore plus loin en ayant une approche précoce, voire préventive. « On sait que la moitié des personnes ayant un morceau du chromosome 22 en moins va développer une schizophrénie. On pourrait donc leur donner un traitement pour éviter l’installation de la maladie. » Pour l’instant, ce type de traitement n’existe pas et les recherches n’en sont qu’à leurs prémices.
Déstigmatiser la schizophrénie et rassurer les proches
Au-delà du traitement, connaître la réalité de ces schizophrénies au pluriel permettrait de déstigmatiser cette pathologie. Michel se souvient, lors du mariage de son ancien colocataire, que la belle-sœur de ce dernier lui a dit « ah, tu étais son coloc. Donc tu as connu le schizophrène ? » Il n’a pas osé dire que le schizophrène, c’était lui.
Autre objectif pour Boris Chaumette : rassurer ses patients et leur faire prendre conscience qu’ils ne ressembleront pas forcément à un autre malade qu’ils sont amenés à croiser et étant à un stade plus avancé. Cette meilleure connaissance des différentes formes de schizophrénie pourrait également permettre aux malades d’être diagnostiqués plus tôt. Une avancée primordiale car plus la pathologie est prise en charge précocement, meilleures sont les chances de rétablissement.
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