
Les Etats membres de l'Union européenne voteront lundi sur la prolongation d'autorisation du glyphosate. Une étude qui vient d'être publiée montre que les agriculteurs l'ayant utilisé ne sont pas plus touchés par le cancer que les autres. Mais elle est déjà contestée. Et n'amène pas le Circ à revoir sa décision de classement de l'herbicide en cancérogène probable. Elle ne freine pas les parlementaires européens, dont le Français Eric Andrieu, qui exigent la création d'une commission d'enquête.
C'est une étude a priori sérieuse qui, à quelques jours du vote décisif des Etats membres de l'Union européenne, apporte de l'eau au moulin des supporters du glyphosate.
Elle a été publiée le 9 novembre dans le Journal of the National Cancer Institute, une revue classée, en notoriété, 146e parmi les 12 000 publications scientifiques mondiales. L'étude a été entièrement financée par des institutions publiques et réalisée par 12 scientifiques salariés du secteur public également.
Quant à la directrice des travaux, Laura Beane Freeman, elle est épidémiologiste à l'Institut américain du cancer et travaille depuis treize ans sur le rôle des pesticides dans la survenue de cancers chez les agriculteurs.
54 251 agriculteurs interrogés
L'étude sur le lien entre glyphosate et cancers appartient à l'enquête plus large "Agricultural Health Study" (AHS), qui porte sur l'impact de 50 différents pesticides sur la santé des agriculteurs. Elle prolonge, en prenant en compte des données recueillies jusqu'en 2012/2013, les travaux publiés en 2005.
La très grande taille des "cohortes" (les groupes) d'agriculteurs pris en compte, ainsi que la longue durée des données recueillies donne un intérêt particulier à ces travaux.
En effet, l'AHS examine les réponses aux enquêteurs fournies par pas moins de 54 251 agriculteurs ou ouvriers agricoles, dont 44 932 ont utilisé du glyphosate à des niveaux variables de régularité. Ces personnes vivent dans deux Etats différents et éloignés, la Caroline du Nord et l'Iowa. Deux Etats très agricoles (l'Iowa pèse à lui seul la moitié de la valeur de la la production agricole française) où l'on compte tant de l'élevage que des cultures, notamment de tabac, maïs et soja OGM, généralement très consommatrices de glyphosate.
750 herbicides à base de glyphosate
Le public pris en compte a été classé en quatre groupes selon la régularité de leur utilisation de l'un des 750 herbicides à base de glyphosate commercialisés aux Etats-Unis. Un autre groupe réunit, lui, des agriculteurs et ouvriers n'ayant jamais utilisé ces herbicides.
Dans l'ensemble interrogé, des réponses ont été obtenues pour 9 319 non-utilisateurs et 44 441 utilisateurs. Dans cet ensemble, 7 290 cas de cancers ont été déclarés.
"Pas de lien glyphosate-cancer"
L'objet des travaux est de comparer les taux de cancer survenus chez les utilisateurs et les non-utilisateurs. Les facteurs aggravants tels que la consommation d'alcool, de tabac, les prédispositions familiales au cancer, ont été neutralisés dans les statistiques.
Comme ce fut le cas en 2005, les nouveaux résultats mettent en lumière une absence de lien entre les taux de cancers constatés dans les différents groupes et leur niveau - ou l'absence totale - d'utilisation du glyphosate.
Le cas de la leucémie myéloïde aiguë
La seule exception notée dans ces nouveaux résultats est une plus forte prévalence de leucémie myéloïde aiguë constatée chez les plus gros utilisateurs. Phénomène jamais constaté jusqu'à présent, souligne le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC), mais que les chercheurs américains estiment, eux, non significatif sur le plan statistique, le nombre de cas constatés étant faible dans toutes les catégories de niveau d'exposition.
Toujours cancérogène probable selon le Circ
Ses résultats jetant à nouveau le trouble dans l'interminable controverse sur la dangerosité du glyphosate.à quelques jours du "vote de la dernière chance" des Etats membres, ils ont été repris dans la presse écrite française à la troisième semaine de novembre.
Ils ne font pourtant pas changer la position du Centre international de recherche sur le cancer (Circ), basé à Lyon, et organisme de référence sur le cancer pour l'Organisation mondiale de la santé, qui dépend de l'Organisation des nations unies (Onu). Le Circ a classé le glyphosate en "cancérogène probable pour l'homme", en mars 2015, identifiant dans de nombreuses études un lien entre l'exposition au glyphosate et le lymphome non hodgkinien (cancer du système lymphatique).
Contacté, le Circ indique pourquoi cette nouvelle étude américaine ne remet pas en cause sa décision de 2015 :
"La classification du glyphosate par du groupe de travail du Circ est fondée sur l'examen systématique de toutes les données publiées concernant la cancérogénicité du glyphosate. Cette classification ne repose donc pas sur une seule étude.
L'évaluation du Circ comprenait également toutes les autres études publiées sur le cancer chez l'homme et l'exposition au glyphosate dans différentes régions du monde. Certaines de ces autres études sur des humains exposés au glyphosate ont signalé une augmentation le lymphome non hodgkinien.
L'AHS n’a pas contrebalancé les associations positives trouvées dans ces autres études épidémiologiques. Et après l'analyse du groupe de travail du Circ, les données de toutes les études combinées montrent une association statistiquement significative entre le lymphome non hodgkinien et l'exposition au glyphosate.
Le groupe de travail du CIRC a conclu qu'il existe des indications «limitées» que le glyphosate cause le LNH. Une «indication limitée» signifie que des associations positives ont été observées et qu'une interprétation causale est crédible, mais le hasard, le biais et les facteurs de confusion ne peuvent être écartés."
La base d'une class action à San Francisco
Le classement en cancérogène problable du glyphosate par le Circ, s'il n'entraîne pas de réglementation contraignante, n'en a pas moins un fort impact.
C'est l'avis du Circ qui a notamment permis le déclenchement d'un énorme procès en "class action" par un collectif de victimes du lymphome non hodgkinien, devant le tribunal de San Francisco. Un procès parmi de nombreux autres.
La décision du Circ a elle-même déclenché une vaste contre-offensive du "père" du glyphosate, le groupe américain Monsanto, en phase de rachat par le géant allemand Bayer. S'en est suivie une incroyable bataille d'influence, les agences européenne EFSA et ECHA, qui dépendent de la Commission, estimant au contraire ensuite que l'herbicide ne présente pas de danger.
Les révélations des Monsanto papers intervenues en mars 2016 dans le cadre de la class action de San Francisco ont, quant à elles, alourdi le soupçon à l'encontre de Monsanto. Elles ont en effet montré que le Monsanto échangeait en privé depuis 1999 sur les dangers de son produit pour la santé humaine, tout en corrompant des scientifiques pour qu'ils écrivent le contraire.
Un biais dans l'analyse, selon Générations Futures
L'étude américaine de l'AHS est-elle de nature à faire vaciller les opposants européens au glyphosate ? Il y a fort à parier que non.
François Veillerette, porte-parole de Générations Futures, l'une des nombreuses ONG qui livrent bataille contre l'herbicide, a relevé un possible défaut dans la méthologie adoptée par les scientifiques américains, comme il l'a expliqué à notre confrère L'Obs : "La faiblesse de cette étude, c'est qu'elle ne compare pas les groupes d'agriculteurs avec rigueur." Il rappelle que l'étude est basée sur la comparaison des taux de cancer entre agriculteurs utilisateus et non-utilisateurs. Ces derniers sont réputés n'avoir pas été exposés au glyphosate. "Mais que signifie non exposé ? Des prises de leur sang, des recueils de leurs cheveux ou leur urine ont-ils effectués ? Non. Or nous sommes tous exposés au glyphosate par les résidus dans l'alimentation, dans l'eau ou dans l'air".
De fait, comme l'ont expliqué à Ouest-France des scientifiques argentins lors d'un reportage sur les méfaits du glyphosate dans la Pampa, les populations non utilisatrices de glyphosate mais qui y sont exposées par le voisinage aux activités agricoles, enregistrent des taux de pathologie bien supérieures à la moyenne nationale.
Andrieu : "Il faut une commission d'enquête"
De son côté, le député européen français Eric Andrieu, coordinateur chargé de l'agriculture pour groupe Socialistes et Démocrates, continue son combat acharné pour l'arrêt du glyphosate. Outré par les révélations des Monsanto papers et le lobbying brutal du groupe américain à Bruxelles, c'est lui qui réclame, avec son collègue belge Marc Tarabella , une commission d'enquête sur Monsanto.
Que pense-t-il de l'étude américaine AHS ? "Qu'elle sort miraculeusement quelques jours avant le dernier vote des Etats membres sur le renouvellement de l'autorisation..." Et d'ajouter qu' "une autre étude, américaine elle aussi, est sur le point de sortir et dira le contraire". Pour l'élu socialiste, originaire du département très viticole de l'Aude, "lorsqu'il y a doute, controverse, en tant que responsables politiques, on se doit d'appliquer le principe de précaution" et donc mener le glyphosate "vers une interdiction définitive".
"Des moyens scientifiques pour l'Union européenne"
Selon lui, la nécessité que le Parlement européen se dote d'une commission d'enquête sur Monsanto, ses procédés, ses moyens d'influence, est plus que jamais d'actualité, même si, par définition, elle ne pourra plus commencer à travailler qu'après le vote de lundi. "Il faut le faire car si une nouvelle autorisation est accordée, faute d'avoir mené une enquête approfondie, dans cinq ans, on en sera au même point". Si l'affaire lui semble en bonne voie, la question est de savoir s'il s'agira, comme il le souhaite, d'une commission "spéciale", dotée de pouvoirs d'investigation étendus. La décision est attendue avant la fin de l'année.
Par ailleurs, l'eurodéputé français continue de militer pour que l'Union se dote de moyens propres de connaissance scientifique. "On court après la certitude scientifique, entre ce que disent des experts indépendants, des rapports des agences européennes qui se basent sur des études fournies par l'industrie... On ne peut plus continuer ainsi. On ne peut pas légiférer dans le flou. L'Europe doit se doter de moyens autonomes et conséquents."
Le lundi décisif
C'est lundi que doivent se prononcer les Etats membres, incapables depuis deux ans d'adopter une majorité qualifiée (55 % des Etats membres représentant 65 % de la population) pour accepter ou refuser la proposition de la Commission, qui est de renouveler pour 5 ans l'autorisation d'utilisation du glyphosate.
L'expiration de l'autorisation actuelle intervenant le 15 décembre, le vote de lundi est considéré comme celui de la dernière chance. Ensuite, seule la Commission pourra prendre une décision. Et si elle ne le fait pas, l'autorisation s'éteindra. Le réglement sur les pesticides s'appliquera alors au pesticide : un an de commercialisation encore possible, puis 6 à 24 mois pour utiliser les stocks.
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