Alors que s'ouvre ce vendredi le Sidaction, «Libération» publie en exclusivité l'avis du Conseil national du sida sur «la notification formalisée aux partenaires». Une proposition qui semble nécessaire pour rendre plus efficace le dépistage en France.
Ce vendredi débute le Sidaction 2018. Le paysage autour du sida en France est bien gris. 6 000 nouvelles contaminations par an, avec pourtant un dépistage massif mais bien peu efficace : plus de 5 millions de tests sont effectués par an avec une proportion d’un séropositif pour mille. En 2017, on estime que 153 000 personnes sont séropositives, et qu’au moins 25 000 d’entre elles ne connaissent pas leur statut. Plus grave, il se passe en moyenne trois ans entre le moment de la contamination et la découverte de la séropositivité.
Si les traitements marchent remarquablement bien, tels sont les chiffres de l’échec français en matière de prévention du sida: alors qu’il y a aujourd’hui tous les éléments pour casser l’épidémie en France, celle-ci se poursuit. Comme s’il n’y avait rien à faire.
Non sans courage, le Conseil national du sida vient de rendre un avis sur «la notification formalisée aux partenaires», que Libération publie en exclusivité. L’idée ? Quand une personne se découvre séropositive, prévenir et dépister aussitôt ses partenaires, dans l’anonymat le plus absolu évidemment. Une manière efficace de rebooster le dépistage, en allant ainsi vers les groupes les plus touchés, quitte à bousculer au passage quelques blocages.
La notification, qu’est-ce ?
Petit rappel. Une infection sexuellement transmissible (IST) n’est pas tout à fait une pathologie comme les autres. On est certes infecté, mais cela ne s’arrête pas là. Il y a les autres: ceux (ou celles) d’avant et ceux d’après. Ceux (ou celles) qui ont pu vous infecter et ceux (ou celles) que vous avez pu infecter. Que fait-on ? On arrête ou on recherche ? «C’est un moment terrible. Au début, j’étais d’abord effondré pour moi», nous racontait ce séropositif qui a découvert son état en 1998. «Puis on saisit, on sort du trou noir, le médecin en parle, et c’est vrai que l’on se demande pour les autres. Qui vous a contaminé ? Mais aussi le pire: qui a-t-on pu contaminer ?»
Les impératifs de santé publique pousseraient à réagir aussitôt, et à casser le plus vite possible la chaîne de contamination en recherchant les partenaires pour les dépister. Mais comment et à qui de le faire ? Certains veulent privilégier la responsabilité individuelle, en laissant le choix entre les seules mains de la personne qui se trouve infectée. Le dispositif de notification s’inscrit dans cette problématique, en tentant de se donner les moyens d’aller chercher ceux qui ont pu être contaminés autour du patient index, comme on l’appelle.
Les modèles de notification en présence
Sur cette question de la recherche des partenaires, la politique de la France a toujours été égale à elle-même, adorant les grands principes mais peu efficace dans les faits. Elle a fait ainsi le dos rond, avec le souci au début de l’épidémie de n’exclure ni de ne stigmatiser personne. On est resté sur l’idée de la responsabilité partagée: pour être contaminé il faut être deux, ce n’est donc la faute de personne.
Avec l’arrivée en 1996 des traitements, ce mode de réflexion a vécu, car cela constitue un énorme risque de laisser ainsi une personne éventuellement infectée sans le savoir. D’autant que l’on va découvrir qu’une personne qui prend régulièrement son traitement ne devient plus contaminante. Bref, il n’y a que des raisons pour aller vers un dépistage bien plus offensif ! Mais comment ? De fait, trois modèles dans des pays occidentaux sont apparus. Le premier (le plus contraignant) se traduit par la loi. Certains pays ont ainsi encadré juridiquement le recours à la notification, en particulier la Suède (mais aussi le Canada, ou plusieurs Etats des Etats-Unis) qui a construit un cadre juridique relativement coercitif. Ainsi, une loi a rendu obligatoire la mise en œuvre de la notification, obligeant le séropositif à faire état de ses partenaires, puis de les prévenir, et ces derniers, le cas échéant devant se traiter. Bref, pas le choix. Aux Etats-Unis comme au Canada, la nécessité d’informer le partenaire est considérée comme plus importante que le respect du secret médical, et si le patient ne le fait pas, le professionnel de santé se doit de le faire à sa place. Dans ces trois pays, en tout cas, ont été construits des services de notification qui sont proposés aux patients, avec du personnel formé.
A côté de ce modèle législatif, il y a un groupe de pays qui recommandent la notification, mais sur la base d’un guide des bonnes pratiques. En clair, voilà ce qu’il faut faire, mais la loi n’est pas là pour contraindre. Au Danemark, la démarche de notification doit obligatoirement être proposée au patient, mais celui-ci demeure entièrement libre de son choix de notifier ou non. Aux Pays-Bas, la législation prévoit que le professionnel de santé a le droit de divulguer la séropositivité en l’absence de consentement, mais «uniquement au cas où un tiers est en danger, par exemple un fœtus ou le nouveau-né». En Grande-Bretagne, la législation permet, avec l’accord du patient, de rompre le secret médical.
Troisième modèle, ceux qui ne font rien, comme la France ou l’Allemagne. Rien n’est en effet prévu. On reste arc-bouté sur le secret médical qui ne doit jamais être levé, mais aussi sur le respect du consentement du patient, enfin sur le respect de la vie privée des partenaires. Bref, aucun dispositif, ni formel ni informelle, n’existe. Et cette recherche des partenaires va dépendre essentiellement de la personne qui se découvre infectée.
Les recommandations du Conseil national du sida
Pour la première fois donc, un dispositif est proposé. On peut le juger timide, cela ne fut pourtant pas facile, le conseil de l’ordre des médecins ne voulant aucun changement, refusant notamment que le médecin puisse faire lui-même cette notification. Il est vrai que, dans le code de déontologie, le médecin n’est jamais délivré du secret médical, même à la demande de son patient.
Dans ces conditions, le Conseil propose une sorte d’organisation «pour un accompagnement à la notification au partenaire». D’abord, où ? Dans les lieux où le dépistage se fait comme les CeGIDD (centres gratuits d’information, de dépistage et de diagnostic), voire aussi dans le milieu associatif qui développe les tests rapides; dans ces lieux, «une proposition d’accompagnement doit être systématiquement intégrée au parcours des patients diagnostiqués pour une IST» (1).
Que proposer ensuite ? Après avoir informé le patient, «doit s’établir avec lui une stratégie de notification, en réfléchissant avec lui sur la façon de le faire (téléphone, courrier, SMS, etc.)» mais aussi en protégeant la vie privée des personnes qui vont être contactées. «Les médecins libéraux pourraient accompagner directement leurs patients dans cette démarche, ou les adresser à un centre de santé, beaucoup de dépistages se faisant dans le cadre de la médecine libérale», note le Conseil du sida.
De fait, la grande nouveauté est de proposer «exceptionnellement» à un professionnel de santé de faire la notification lui-même, ce qui est aujourd’hui à la limite de la légalité. Cela permettrait en tout cas de faire sauter un verrou. Et d’ouvrir des possibilités. D’où le souhait du Conseil d’une évolution législative.
En tout cas, ces recommandations ont été adoptées à l’unanimité du Conseil… à l’exception du représentant du conseil de l’ordre des médecins.
(1) L’idée étant d’inscrire cette démarche pour toutes les IST.
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