
SANTE - La mise en place d'un dépistage généralisé du cancer du col de l'utérus est une des priorités du plan cancer 2014-2019 du gouvernement. En France, 3000 cas de cancers invasifs sont détectés et 1.100 patientes en décèdent chaque année. Pourtant, depuis deux mois, certains gynécologues dénoncent une dévalorisation des examens du col par la Caisse nationale d'assurance maladie.
- Mathilde Roche
Le 22 janvier, premier jour de la 11e semaine européenne de prévention du cancer du col de l’utérus, une grande campagne de sensibilisation a été lancée par l’Institut National du Cancer (INCa) pour alerter sur l’importance du dépistage. A grand renfort de brochures, posters et plaquettes de communication, l’INCa invite les praticiens à se sentir concernés et à mieux informer leurs patientes. Ce troisième programme national de dépistage organisé, annoncé par la ministre de la Santé Agnès Buzyn dès le printemps 2018, est une priorité du plan cancer 2014-2019. En permettant à l’ensemble des femmes de 25 à 65 ans d’avoir accès à un contrôle régulier du col utérin, l'objectif est ainsi de réduire de 30% l’incidence et la mortalité de ce cancer, dont 1.100 femmes décèdent encore chaque année.
Pourtant, le 11 mai 2019, la facturation des actes médicaux de dépistage du cancer du col de l’utérus a été modifiée, compliquant, selon les gynécologues, leur prise en charge par la sécurité sociale. Plusieurs praticiens ont rapidement dénoncé cette contradiction, notamment par la voix de la FMF, la Fédération des médecins de France.
Lors du dépistage du cancer du col de l'utérus, le premier examen est un prélèvement cervicovaginal, plus connu sous le nom de frottis. En cas de frottis anormal, il faut réaliser une colposcopie, un examen du col pratiqué à l'aide d'une sorte de loupe - un colposcope - après l’application de deux colorants. S'il y a des cellules anormales, elles absorbent ces colorants et deviennent ainsi visibles. Le praticien peut alors réaliser une biopsie, qui consiste à prélever des petits morceaux de tissus colorés en vue d'un examen microscopique, permettant de définir si les cellules anormales sont cancéreuses ou pré-cancéreuses.
Chaque acte médical effectué par un professionnel est représenté par un code, recensé dans la Classification commune des actes médicaux (CCAM), afin de mieux se repérer dans les facturations et remboursements de la sécurité sociale. Jusqu’à présent, l’acte médical JLQE002, qui renvoie à la colposcopie, pouvait être cumulé avec l’acte JKHA002, celui de la biopsie du col utérin. Deux examens complémentaires : la colposcopie repère le problème et la biopsie permet le diagnostic. Mais, depuis le 11 mai, les praticiens ne peuvent plus faire des feuilles de soin cumulant les deux actes. Sur les feuilles de soin électroniques, la démarche est bloquée, tandis que sur les feuilles de soin papier, tout le remboursement est rejeté par l'Assurance Maladie quelques jours plus tard.
Une mise à jour informatique pénalisante
Le docteur Hocquemiller, gynécologue pratiquant des colposcopies facturées en secteur 1 dans la région parisienne est un des premiers à avoir fait remonter l’information. Il s’est rendu compte du changement de facturation suite au refus de plusieurs dizaines de feuilles de soins. "Il n’y a eu ni concertation, ni avertissement, ni communication", affirme le praticien de l'institut Fournier, joint par LCI. "Mes patientes n’ont pas pu être remboursées, il a fallu refaire toutes les démarches. Tout ça pour quoi ? Pour faire des économies de bout de chandelle", déplore-t-il.
Pour le docteur Huynh, vice-président de la FMF, c'est un mauvais signal envoyé en pleine campagne de dépistage. "C’est une décision de bureaucrates, ils ne s’occupent pas des conséquences dans la réalité, ni de la manière dont les patientes sont remboursées, ni du résultat sur la régularité de leurs dépistages", dénonce le gynécologue auprès de LCI.
Une conséquence de "l'erreur de certains praticiens" ?
De son côté, la Caisse nationale d'Assurance Maladie (Cnam), assure à LCI que cette "simple mise à jour informatique" est la conséquence de "l’erreur répétée de certains médecins, qui facturaient anormalement ces examens". Selon la Cnam, "le libellé de l’acte de colposcopie JLQE002 précise 'avec ou sans : biopsie et/ou prélèvement' et le tarif de l’acte 'colposcopie avec biopsie' a été fixé à 49,82 euros". Ainsi avant la mise à jour, quand les praticiens cumulaient le code de la colposcopie - avec biopsie inclue d'après l'Assurance maladie - et le code indépendant de la biopsie, la Cnam considéraient qu'ils facturaient deux fois la biopsie.
Lors des contrôles effectués chaque année, l’Assurance Maladie aurait alors "constaté ces cumuls, informé les professionnels de santé et demandé la récupération des sommes versées à tort à la suite de cette double facturation de la biopsie", selon leur service de communication. Puis, pour mettre fin à ces "codages erronés", la Cnam s’est concertée en commission à trois reprises avec les représentants des professionnels de santé pour trouver une solution. "Il a été décidé d’un commun accord de bloquer informatiquement la possibilité de coter simultanément la colposcopie et la biopsie. Cette mise à jour, effective depuis le 11 mai 2019, n’a pas d’impact sur la prise en charge ou le remboursement des patientes", déclare l'Assurance Maladie.
Pourtant, dans la description officielle de la Classification commune des actes médicaux (Ccam), la biopsie n’est à aucun moment mentionnée dans le libellé, la description ou les notes de la colposcopie. Dans le logiciel interne des praticiens, aucune trace de cette précision non plus. "La vérité c'est qu'ils ont complètement dévalorisé l'acte médical de la biopsie du col utérin", estime le Dr Hocquemiller. "La colposcopie a toujours été tarifiée à 49,82 euros, donc ils estiment que la biopsie, c'est gratuit ?"
Médecins moins payés ou patientes moins remboursées ?
Malheureusement, la biopsie est loin d'être un acte médical peu coûteux. Normalement tarifiée à 21,45 euros, elle était facturée 10 euros aux patientes, étant donné que le deuxième acte médical effectué lors de la même consultation est facturé à 50%. "Même avant la mise à jour, cela n'était pas rentable, vu le coût des pinces pour réaliser les prélèvements, et le coût de leur stérilisation". Quelles conséquences sont à craindre pour le bon déroulement du dépistage organisé souhaité par l'Etat ?
Pour les praticiens de secteur 1, les tarifs sont réglementés, ils ne peuvent facturer au delà des tarifs de la Ccam. Pour les patientes, la prise en charge est la même, ce sont les médecins qui vont accuser le coup en réalisant deux actes pour le prix d'un. En revanche, pour les praticiens de secteur 2, les tarifs dépendent des dépassement d'honoraires, l'impact se répercutera sur les patientes. Les tarifs des consultations, colposcopies et biopsies resteront les mêmes, mais elles seront moins remboursées, puisque sur les feuilles de soin, seule la colposcopie apparaîtra désormais.
Même en admettant que tous les gynécologues soient guidés par leur seule conscience professionnelle et que cela ne les empêchera pas de faire passer des examens complémentaires en cas de frottis anormaux, cela reste, selon les praticiens, une prise de position problématique de la part de l'Assurance Maladie en pleine campagne nationale de dépistage de cancer du col de l'utérus. Le docteur Huynh rapporte que le problème a été présenté à la Cnam en commission paritaire nationale en juin, sans obtenir de réaction de leur part jusqu'à aujourd'hui, deux mois après cette mise à jour informatique. "Est-ce-qu'ils sont en train de réfléchir ou d'enterrer ? On n'en sait rien", regrette le gynécologue. "Mais c'est grave, un dépistage [de cette ampleur] doit englober les professionnels pour apporter des résultats, et ce n'est pas une main tendue".
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