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L’autodéfense des plantes est activée - Sciences et Avenir

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Cet article est extrait des du mensuel de Sciences et Avenir n°859, paru en septembre 2018.

Révolution dans les rizières italiennes. Par décret spécial du ministère de la Santé, les cultivateurs de la plaine du Pô ont reçu l'autorisation, le 8 juillet, de pulvériser sur leurs parcelles inondées un produit novateur, le COS-OGA, bien qu'il ne soit pas encore homologué. En permettant l'utilisation de ce stimulateur de défense des plantes (SDP), les autorités ont répondu à une "requête d'usage en urgence" du Syndicat italien des riziculteurs, démunis face à la pyriculariose. Ce fléau fongique est en effet responsable de la perte de 10 % des récoltes depuis l'interdiction en Europe, fin 2016, pour des raisons de toxicité, du très efficace tricyclazole. "Notre stimulateur, breveté en 2006, est déjà autorisé en Italie sur les concombres, melons, poivrons et tomates cultivés sous serre en prévention de l'oïdium, une maladie provoquée par un champignon, expliquent le Pr Pierre van Cutsem, de l'Unité de recherche en biologie cellulaire végétale de l'université de Namur (Belgique), et Raffaele Buonatesta, directeur de Fytofend, start-up issue de l'université pour développer le produit. Et nos essais en champs ont démontré qu'il était aussi efficace sur le riz en réduisant les symptômes de 70 %!" La décision des autorités sanitaires italiennes témoigne ainsi de la percée d'une nouvelle génération de molécules qui protègent les cultures tout en préservant l'environnement.

Décrypter des signaux chimiques complexes

Contrairement aux pesticides, les SDP ne tuent pas les bioagresseurs (champignons, virus ou insectes), mais agissent en stimulant les mécanismes de défense très perfectionnés développés par les végétaux, dans l'incapacité de fuir leurs ennemis (voir l'infographie ci-dessous). Pour cela, les chercheurs se sont lancés dans l'apprentissage d'une nouvelle discipline : la stratégie guerrière… des plantes! Avec pour mission de leur venir en aide. "Lors d'une attaque, les cellules végétales et leurs prédateurs échangent des signaux chimiques très complexes, que les physiologistes et les pathologistes travaillent désormais à décrypter", souligne le Pr Soulaiman Sakr, d'Agrocampus Ouest (Institut national supérieur des sciences agronomiques, agroalimentaires, horticoles et du paysage), à Angers. Sur le qui-vive, les plantes sont en effet capables de détecter des molécules présentes à la surface de leurs ennemis ou excrétées par ces derniers dès qu'ils attaquent. Ce qui leur permet de passer aussitôt en mode résistance. Las! il arrive qu'elles réagissent trop tard — ou pas du tout — parce que l'agresseur, manipulateur, s'est adapté pour passer inaperçu ou neutraliser les réactions de défense. Et c'est là qu'entrent en scène les SDP, appelés aussi éliciteurs (de l'anglais "to elicit", susciter), qui ont pour objectif de prévenir ces défaillances. "Ils miment l'attaque d'un bioagresseur pour déclencher les défenses de la plante, un phénomène appelé résistance induite, explique Marie-Noëlle Brisset, de l'Inra/Université d'Angers, qui teste les SDP entre autres sur les pommiers. En stimulant son système immunitaire, ils lui confèrent une résistance accrue par rapport à une plante non traitée." Pour la spécialiste, "ce pourrait être un des leviers d'avenir du biocontrôle" (ensemble de méthodes de protection des végétaux fondées sur l'utilisation de mécanismes naturels).

Pour vérifier l’efficacité de ces stimulateurs, la chercheuse a breveté une puce mesurant l’activation de 28 gènes de défense chez le pommier, la vigne, la pomme de terre, la tomate et, tout récemment, le blé. De quoi cribler rapidement les SDP pour repérer ceux susceptibles d’être les plus efficaces.

Cliquer dessus pour voir l'infographie en grand

L’efficacité de beaucoup de stimulateurs reste à prouver

Et les candidats ne manquent pas ! Les molécules des éliciteurs peuvent en effet être synthétisées ou naturelles, d’origine organique (chitine des carapaces de crabe, laminarine des algues…) ou minérale (sels de phosphonates…). Il peut aussi s’agir de micro-organismes non pathogènes, comme certaines souches de bacilles. Dans le commerce, on trouve désormais quelques centaines de produits, souvent vendus en mélange avec des fertilisants, qui revendiquent plus ou moins explicitement une action de SDP… sans pour autant avoir fait la preuve de leur efficacité. Car, à y regarder de plus près, très peu d’autorisations de mise sur le marché en bonne et due forme ont été délivrées à ce jour en France. Les stimulateurs sont même ultra-minoritaires sur la liste des 444 produits dits phytopharmaceutiques de biocontrôle autorisés au 16 juillet 2018. Sous une soixantaine d’appellations commerciales, on ne trouve que "8 substances actives (trois micro-organismes, cinq substances naturelles) pour 28 usages, ciblant prioritairement le maraîchage (16), la vigne (15), mais aussi les grandes cultures (5) et l’arboriculture fruitière (4)", détaille Denis Longevialle, d’IMBA France, association française des producteurs de biocontrôle.

À cette liste s’ajoute un SDP de synthèse, l’acibenzolar-Sméthyle (ASM), qui mime l’acide salicylique, sécrété par les plantes et dont est dérivée l’aspirine. Il est donc grand temps de développer et de régulariser ce marché. "Il y a très peu d’argent investi pour développer des SDP efficaces ! regrette Michel Ponchet, de l’Inra Paca-Sophia-Antipolis. Pourtant, c’est le sujet de biologie végétale sur lequel le plus d’articles ont été publiés depuis 40 ans. Mais l’arrivée des OGM, dans les années 1980, a occulté cette voie de recherche." Le phytopathologiste et biochimiste coanime le réseau technologique mixte Elicitra, créé en 2010 par le ministère de l’Agriculture pour accélérer le développement des stimulateurs et instaurer un dialogue entre la recherche académique, les grandes filières agricoles qui possèdent leurs propres labos, et l’enseignement.

Des biostimulants contre le stress climatique

Quelle est la différence entre les stimulateurs de défense des plantes et les biostimulants, qui percent également sur le marché sans être régis par une législation aussi exigeante ? Les premiers permettent de lutter contre les agresseurs vivants, dits biotiques (champignons, virus, bactéries, insectes), alors que les seconds sont des "fortifiants" qui stimulent les processus naturels de résistance de la plante contre les stress liés à l’environnement (sécheresses, inondations, gel, chaleur…). Ces derniers, dits abiotiques, aiguillonnent le développement de la plante, activent ses réponses, comme ouvrir ou fermer les stomates (pores des feuilles) selon l’évaporation nécessaire, et pourraient ainsi préserver les rendements ou permettre une meilleure absorption des nutriments. Ils sont de natures aussi variées que les SDP, ce qui ajoute à la confusion. Ils peuvent être fabriqués à partir d’algues, de plantes, de micro-organismes, d’acides aminés, de substances organiques des sols, de composés minéraux non nutritifs (qui ne sont pas des engrais), d’enzymes, de vitamines. Ils font aussi l’objet de recherches et de mesures d’efficacité, car ils pourraient permettre d’aider les plantes à s’adapter au changement climatique.

Performants en laboratoire, décevants au champ…

Même si elles ne font pas partie du réseau "pour éviter les conflits d’intérêts", les grandes firmes phytopharmaceutiques y sont écoutées et certains de leurs produits testés. "Faire la preuve de l’efficacité d’une molécule ou d’un mélange de molécules est difficile, long et coûteux, souligne Philippe Grappin, directeur du projet Labcom Estim, qui vise à évaluer le plus rapidement possible l’efficacité des éliciteurs. Nous faisons de la recherche fondamentale pour comprendre comment le produit agit, information dont les agro-fournisseurs ont besoin pour éclairer le législateur en vue d’une homologation ou pour vanter leurs produits auprès des agriculteurs." Or, performants en laboratoire puis en serre, où la température et l’humidité sont contrôlées, les stimulants se montrent encore souvent décevants en conditions normales de production. La plante, soumise à de forts stress environnementaux, peut parfois ne pas les percevoir ou développer des défenses insuffisamment intenses et durables. À grande échelle, le produit peut aussi être mal réparti ou ne pas assez pénétrer dans la feuille. Ainsi, la dose reçue par les feuilles d’un pommier au verger est quinze fois inférieure à celle reçue en serre ! "Si le produit et son mode d’emploi ne sont pas optimisés, les agriculteurs ne l’adopteront pas", alerte Marie-Noëlle Brisset. Pour chaque SDP, les scientifiques peaufinent donc des conseils de bonne pratique aux champs en fonction de la maladie et de la plante concernées… "Notre réseau Elicitra a déjà testé 200 produits de plus de 80 origines différentes", précise Michel Ponchet, mais une petite dizaine seulement semblent efficaces ou prometteurs. Parmi eux, le fameux COS-OGA qui a fait ses preuves sur le mildiou et l’oïdium de la vigne ou le mildiou des légumes ; des bacilles satisfaisants en prévention de la pourriture de la tomate ; l’acibenzolar-S-méthyle, qui a quasi permis d’éradiquer la rouille blanche du chrysanthème… Mais la recherche, menée par des laboratoires dans toute l’Europe et aux États-Unis, ne s’arrêtera pas là.

Néanmoins, les équipes françaises émettent d’ores et déjà une réserve : les SDP ne remplaceront sans doute jamais complètement les pesticides car, à ce jour, les niveaux de protection qu’induisent les meilleurs d’entre eux restent très souvent inférieurs à 50 % ! "Mais ils peuvent au moins en limiter l’usage !", assure Philippe Grappin. "Puisqu’ils sont préventifs, un vigneron les utilisera, par exemple, quand la probabilité d’une attaque de mildiou sera élevée en raison de la température et de l’humidité ambiantes, poursuit Michel Ponchet. En cas d’agression sévère, une association avec d’autres méthodes de lutte sera nécessaire pour garantir une bonne protection. Il faudra aussi veiller à ne pas sur-stimuler les défenses des plantes, car cela peut se faire au détriment de leur développement." Il faudra surtout que les agriculteurs apprennent, comme le dit joliment Marie-Noëlle Brisset, "à regarder désormais la plante comme un partenaire actif".




July 21, 2020 at 01:00AM
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