Nouveau procès, nouvelle mise en cause de la poudre de talc, utilisée quotidiennement par des millions de personnes à travers le monde. Lundi, la justice de Los Angeles a condamné le géant pharmaceutique Johnson & Johnson à verser la somme record de 417 millions de dollars à Eva Echeverria, l’une de ses clientes, qui souffre d’un cancer des ovaires en phase terminale.
Comme de nombreuses autres femmes, la sexagénaire met en cause le talc, commercialisé sous la marque "Baby Powder", dans l’apparition de son cancer. Elle l’utilisait quotidiennement pour son hygiène intime depuis ses 11 ans, jusqu’à ce qu’elle tombe malade, à 53 ans. A aucun moment, elle n’avait été informée que la poudre qu’elle s’appliquait à même la peau pouvait être dangereuse.
Et ce procès est loin d’être un cas isolé : Johnson & Johnson est à ce jour poursuivi dans plus de 4 800 procédures, issues de consommatrices atteintes de cancers. Toutes accusent l’industriel d’avoir dissimulé, à des fins commerciales, le potentiel danger de ses produits.
Selon l’avocat des plaignantes, qui s’appuie sur des travaux d’experts, 1500 femmes décéderaient chaque année d’un cancer lié au talc aux États-Unis.
Dans ce cadre, Johnson & Johnson a déjà été condamné à cinq reprises et a été contraint de verser 720 millions de dollars aux malades. Pourtant, l’entreprise a fait appel de toutes les décisions et continue d’affirmer l’innocuité de son produit.
Cette saga judiciaire soulève deux questions : le talc est-il vraiment dangereux pour la santé ? Les fabricants étaient-ils au courant d’éventuels risques ?
Que dit la science ?
La poudre de talc, utilisée en pharmacologie et en cosmétique, est issue du minerai du même nom, extrait de différents gisements à travers le monde.
En 2012, une étude de l’ANSES a établi que les gisements naturels de talc pouvaient contenir de l’amiante (hautement cancérigène). Cependant, le talc doit normalement être systématiquement purifié en Europe et aux Etats-Unis depuis les années 1970 s’il est destiné à l’hygiène humaine.
Plusieurs études scientifiques ont tenté d’analyser les effets potentiels de cette poudre de talc (purifié) sur la santé. Sur l’animal, les résultats divergent : certains concluent à l’innocuité du talc, d’autres pointent un danger.
Sur l’homme, deux grandes études ont été menées, en compilant plusieurs études antérieures pour comparer les données. La première a compilé les analyses de 8 525 patientes, la seconde celles de 2 041 patientes. Toutes deux concluent qu’il existe un risque faible mais significatif d’augmentation du cancer des ovaires en cas d’exposition au talc (de l’ordre de 20 à 30%).
Cependant, après analyse de ces chiffres, et compte-tenu du faible nombre de cancers de l’ovaire (de l’ordre de 10 pour 1000), les spécialistes estiment que le risque reste très faible.
Selon le Dr Steven Narod, leader mondial de la génétique du cancer des seins et des ovaires :
"Sur cinq femmes qui contractent un cancer des ovaires et qui ont utilisé du talc durant toute leur vie, nous pouvons estimer que seul l’un de ces cancers est lié au talc. Les quatre autres sont juste causés par la malchance ou un autre facteur"
Pas sûr que cela rassure les malades…
Le point de vue de l’OMS (par le biais de son agence pour la recherche sur le cancer, IARC), est quant à lui plus nuancé : l’IARC ne classifie pas le talc en lui-même comme cancérigène (à condition qu’il ne contienne pas d’amiante), mais considère que l’utilisation du talc comme poudre d’hygiène en périphérie des zones intimes est un "cancérigène possible".
Cependant, ce n’est pas sur ces études que se base la défense de Johnson & Johnson, mais sur un rapport du programme national de toxicologie américain (NTP), repris par l’American cancer society. Or, selon le NTP, "les preuves ne soutiennent pas une corrélation entre une exposition de la région du périnée au talc et un risque accru du cancer des ovaires".
Le document qui accable Johnson & Johnson
Au-delà de la recherche d’une preuve absolue de la cancérogénécité du talc, les procès intentés par les patientes portent sur la volonté de Johnson & Johnson de cacher les éventuels risques de leur produit pour continuer à le vendre.
Plusieurs documents internes, datant de 1986 à 2004 et présentés lors du procès intenté par la patiente Jacqueline Fox dans le Missouri en 2016, viennent contrecarrer la ligne de défense du groupe pharmaceutique, qui garantit sa bonne foi et l’innocuité de ses produits.
Un mémo interne daté de 1992 indique que déjà à l’époque, la compagnie se préoccupe de "la publicité négative de la communauté médicale sur le talc (inhalation, avis négatif du médecin, lien avec des cancers)".
Puis, en 1997, Alfred Wehner, un consultant médical qui travaillait pour l’entreprise sur l’étude du talc, adresse une note à Michael Chudkowski, directeur de la toxicologie, dans laquelle il évoque sa retenue :
"Un véritable ami n’est pas celui qui use d’un ton enjôleur, mais celui qui vous révèle vos erreurs avant que vos ennemis ne les découvrent"
Il explique que les résultats transmis par groupe de recherche de l’entreprise sur le talc sont "ineptes, trompeurs et totalement faux." Avant de poursuivre :
"Neuf études publiées (en dehors de chez Johnson & Johnson, ndlr) ont montré une association statistiquement significative entre l’utilisation du talc hygiénique et le cancer de l’ovaire. Nier cela revient à faire courir le risque que l’industrie du talc soit perçue par le public comme l’industrie de la cigarette : une industrie qui nie l’évidence malgré toutes les preuves du contraire."
Wehner souhaitait que le groupe de recherche se penche sérieusement sur la question du risque de cancer sans l’occulter.
Qu’à cela ne tienne ! Pour parer à la défiance et à la chute des ventes, l’entreprise détaille dans un mémo interne une stratégie marketing consistant à cibler spécifiquement les populations noires et hispaniques, jugées bonnes clientes (et moins informées) : affiches commerciales, promotions dans les églises et les salons de coiffure afro-américains, sponsoring de célébrités… tout est bon pour continuer à vendre.
Ces documents accablants conduiront à la condamnation de Johnson & Johnsonpour fraude, négligence et conspiration. Le géant pharmaceutique a été condamné à verser 72 millions de dollars de dommages et intérêts à la famille de Jacqueline Fox, décédée depuis des suites de son cancer. A ce jour, 4 800 autres femmes attendent encore d’être entendues par la justice.
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