"Les arguments sont fragiles et assez faibles." Tels sont les mots de Me Jean-Christophe Coubris, en réaction à la décision du parquet de Paris de classer sans suite son enquête sur certaines pilules contraceptives (dites de 3e et 4e génération) accusées de favoriser de graves troubles artériels et veineux. Pour le parquet, en effet, "les investigations minutieuses, longues et complexes n'ont pas permis de caractériser l'existence d'une infraction pénale", tant du côté des laboratoires que de l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Mais pour l’avocat des victimes, l’affaire ne doit pas en rester là.
Pilule de 3e et 4e génération : de quoi parle-t-on ?
L'affaire est née en décembre 2012 de la plainte d'une étudiante, Marion Larat, restée handicapée à 65% après un AVC qu'elle impute à la prise de la pilule de 3e génération Meliane, produite par le groupe allemand Bayer. A l'époque, l'affaire avait poussé les autorités sanitaires à anticiper le déremboursement de ces "mini-pilules". Le combat mené par Marion Larat avait ouvert la voie à 130 autres plaintes toutes centralisées au pôle de santé publique dans le cadre d'une enquête préliminaire visant 29 marques de pilules de 3e et 4e générations - notamment Schering, Merck et Pfizer -, huit laboratoires et l'ANSM. Parmi les médicaments mis en cause, Diane 35, un anti-acnéique largement prescrit comme contraceptif.
Quels sont les arguments du parquet ?
Même si le parquet souligne l'existence de risques connus, l'enquête ne permet pas selon lui "d'établir avec certitude l'existence d'un lien de causalité entre la prise du contraceptif et les pathologies présentées par les plaignantes" (embolies pulmonaires, AVC, phlébites, ndlr), a expliqué à l'AFP une source proche du dossier. "S'il est scientifiquement établi depuis de nombreuses années qu'il existe, à l'échelle collective, un risque global de développer une pathologie thrombo-embolique" (comme les phlébites ou les embolies pulmonaires, ndlr), il n'est pas possible de prouver "avec certitude" à l'échelle individuelle que l'accident médical est dû à la prise de ces pilules, concluent les magistrats dans leur décision.
Que va-t-il se passer maintenant ?
Pour l'avocat de 84 plaignantes, Me Jean-Christophe Coubris, "les arguments (du parquet) sont fragiles et assez faibles". Décidé à demander la poursuite de l'enquête, il a annoncé mardi une plainte avec constitution de partie civile pour "atteinte involontaire à l'intégrité de la personne humaine" visant les laboratoires et l'ANSM. Cette action qui concerne pour le moment trois femmes doit permettre la désignation - quasi-automatique - d'un juge d'instruction. Parmi les trois plaignantes : Marion Larat, la première à avoir porté plainte, et Elise Lavoue, trésorière de l'AVEP, Association des victimes d'embolie pulmonaire et d'AVC liés à la contraception hormonale.
Selon les plaignantes et leur avocat, le parquet n’est pas allé assez loin dans ses investigations. Ils en appellent donc à un juge d’instruction, indépendant du gouvernement, qui aura la possibilité de diligenter des enquêtes auprès des victimes, des médecins, mais aussi des fabricants ou de l’ANSM.
N’y a-t-il pas un risque que le juge classe aussi l’affaire sans suite ? "J'ai du mal à concevoir que l'enquête se termine au motif de l'absence d'une certitude scientifique absolue", commente Me Coubris. L'avocat affirme avoir obtenu des expertises "qui établissent la causalité entre la prise de ces pilules et les dommages subis". Habitué des affaires de santé, il se défend toutefois de mener le "combat contre la pilule".
Où en sont les débats sur les pilules de 3e et 4e génération ?
Mises sur le marché à partir des années 80, elles sont censées éviter certains effets secondaires des anciennes pilules - acné ou prise de poids par exemple - notamment grâce à leur dosage plus faible en éthinyl-oestradiol, une molécule qui ressemble à l’oestrogène.
En 2012, la Haute autorité de santé, épluchant des études scientifiques sur la question, concluait que toutes les pilules étaient dangereuses, mais que celles de 3e et 4e génération l’étaient un peu plus : le risque d'événement thromboembolique veineux (qui provoque l'AVC) y est de 4 pour 10.000, contre deux pour 10.000 pour les précédentes.
A l'époque, la plainte de Marion Larat avait conduit l'agence du médicament (ANSM) à renouveler ses recommandations sur ces pilules, qui ne doivent être prescrites qu'en 2e recours en raison des risques accrus de thrombose veineuse (phlébite) qu'elles entraînent. Le climat de défiance avait conduit les femmes et les prescripteurs à changer les habitudes de contraception. Selon l'ANSM, ces évolutions auraient ainsi en 2013 permis d'éviter 341 hospitalisations pour embolies pulmonaires chez des femmes en âge de procréer par rapport à 2012.
Dans les pharmacies, elles se sont aussi manifestées depuis 2012 par une chute constante des parts de marchés des pilules de 3e et 4e générations au profit des 1ère et 2e générations, selon l'agence du médicament. Mais "malgré ces constats, ces pilules moins efficaces et plus dangereuses sont toujours en vente et on n'a jamais trouvé judicieux que l'ANSM mette les laboratoires en demeure de mentionner le sur-risque de ces pilules par rapport aux autres", déplore Me Coubris. Ce sera tout l’objet de la future plainte en civile de faire avancer ce débat.
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