Des chercheurs français de l’Institut des sciences cognitives Marc-Jeannerod de Lyon ont annoncé lundi qu’une technique de stimulation nerveuse était susceptible d’avoir augmenté l’état de conscience d’un homme de 35 ans qui se trouvait dans un état végétatif depuis des années. En d’autres termes, ils ont donné un peu de conscience à une personne qui l’avait complètement perdue à la suite d’un accident ou d’une maladie.

Cette annonce, parue dans le journal américain Current Biology, est impressionnante quand on sait qu’il y a plus de mille patients en état végétatif depuis des années, sans espoir d’évolution. Mais elle ne concerne qu’un seul patient. «La plasticité cérébrale et la réparation du cerveau sont possibles même lorsque l’espoir semble avoir disparu», écrivent néanmoins les auteurs.

Le traitement a consisté à utiliser un implant pour envoyer des impulsions électriques dans le nerf vague [le dixième nerf crânien]. Cette stimulation est connue, déjà utilisée pour traiter les personnes atteintes d’épilepsie et de dépression. «Ce pourrait être une nouvelle avancée intéressante, mais je serais prudent sur ces résultats jusqu’à ce qu’ils soient reproduits chez plus de patients», a réagi Vladimir Litvak, professeur à l’University College London Institute of Neurology, interrogé par l’AFP.

Nous avons interrogé par téléphone une des deux chercheurs signataires de l’étude, la Dr Angela Sirigu.

Comment avez-vous choisi ce patient ?

Nous l’avons choisi parce qu’il avait un diagnostic très pessimiste, et ainsi pour que l’on ne puisse pas dire que s’il y avait des changements dans son état de conscience, cela pouvait être lié à de la chance.

Et la question du consentement, pierre angulaire des essais cliniques, comment avez vous fait ? Le malade n’étant évidemment pas en état de le donner ?

Cela fait plusieurs années qu’on y travaille. Il y a deux ans et demi nous avons soumis le protocole au comité d’éthique. Dans le protocole qui a été accepté, il était précisé que notre essai concernerait 20 patients. On s’est vite rendu compte que c’était trop lourd, et nous l’avons réduit à 4 patients. Puis on s’est tourné vers l’ANSM (Agence nationale de sécurité sanitaire des médicaments), et on a débuté en 2016. On a, enfin, enregistré notre protocole dans le registre des essais cliniques américains.

La famille a-t-elle donné son accord ?

Evidemment, on a demandé leur consentement, signé par la mère et le père. On a beaucoup discuté avec eux, vous savez, on leur a expliqué en détail le protocole. Nous avons rencontré une famille merveilleuse, les parents voulaient faire quelque chose pour leur fils mais aussi pour la science.

Pourquoi avoir choisi de stimuler le nerf vague, ou nerf pneumogastrique, qui relie le cerveau à d’autres organes majeurs du corps ?

C’est un nerf très particulier, car il va se projeter dans le cerveau. Il peut influencer l’activité cérébrale et le corps. De fait, il achemine les informations comme dans une boucle, entre le cerveau et le corps, et les informations vont dans les deux sens. On peut dire qu’il agit sur des niveaux importants de la conscience.

Les réactions du patient ont-elles été rapides après la stimulation ?

Dès le premier jour, le patient a réagi, mais comme le nerf avait été largement manipulé, on pouvait avoir l’impression que ce n’était… qu’une impression, et que cela n’était donc pas scientifique. Pendant un mois, nous avons stimulé ce nerf, en augmentant progressivement l’intensité. Lorsque l’on est arrivé à cinq fois la fois la stimulation initiale, c’est là que l’on a rencontré les résultats les plus importants. Et l’on a pu noter, par les ECG (électroencéphalogramme) et par les examens au Petscan, une activité cérébrale qu’il n’avait pas auparavant.

C’est-à-dire ?

Après six semaines de traitement, il a commencé ainsi à répondre à des demandes simples, telles que suivre un objet avec ses yeux et tourner la tête. Il a semblé plus alerte, capable de rester éveillé lorsque son thérapeute lui lisait un livre. Il a réagi aussi à des stimuli, ouvrant les yeux en grand quand un examinateur plaçait soudainement son visage sur le sien. Pour nous, le patient est passé d’un état végétatif à un état de conscience minimale.

Et cela peut-il durer ?

Le protocole est terminé : pendant toute la période de l’essai, l’activité cérébrale chez le patient a été maintenue. Mais depuis, nous n’avons pas fait d’autres analyses. On travaille, désormais, sur 3 autres patients. Et on voudrait aller vers d’autres malades, ceux qui ont une conscience à minima, que l’on appelle les patients en état paucirelationnel.

Quelle a été la réaction de la famille ?

Tout n’est pas simple, mais nous avons un lien très proche, surtout avec la mère. C’est une famille extraordinaire.

N’avez-vous pas eu le sentiment, parfois, de jouer aux apprentis sorciers ?

Et pourquoi ? Nous ne sommes pas des sorciers. On fait des choses, et l’on sait très bien ce que l’on fait. Ce n’est en rien de la sorcellerie. Là, nous avons montré qu’il y a des signes de conscience. C’est notre espoir, il faut continuer, et nous, on travaille.

Mais vous pouvez comprendre l’éventuel choc pour les proches du millier de patients qui sont depuis des années en état végétatif, en France aujourd’hui ?

D’abord, il ne s’agit que d’un cas. Ensuite, la science est faite pour faire changer les idées, les opinions, voire la réalité. C’est notre métier, c’est notre mission. Mais bien sûr, il faut attendre.

Eric Favereau