
La situation est inédite en France. La vox populi, autrement dit celle de patients prenant du Levothyrox, amplifiée par les réseaux sociaux, a obtenu, en quelques semaines, que soit à nouveau mise sur le marché l'ancienne formule de ce médicament, modifiée quelques mois auparavant, à la demande de l'Agence Nationale de Sécurité du Médicament (ANSM). En 2012, l'ANSM a demandé au laboratoire Merck d'améliorer la stabilité du principe actif du Levothyrox. Pour satisfaire cette demande, le laboratoire a investi 32 millions d'euros en 5 ans. Un courrier a été adressé fin février 2017 à 100 000 médecins et pharmaciens afin de les informer du changement de formule à partir de fin mars.
Fin juin 2017, une patiente donne le ton en lançant une pétition en ligne " contre le nouveau Levothyrox dangereux pour les patients ". L'association française des malades de la thyroïde (AFMT) mobilise les patients sur les réseaux sociaux. En quelques semaines, la pétition recueille plus de 200 000 signatures et la comédienne Anny Duperey publie une lettre ouverte à la ministre de la Santé mettant en cause le laboratoire et l'ANSM. Un vent de panique s'empare des réseaux sociaux alimenté par l'annonce du dépôt de plaintes contre l'ANSM, l'ancienne ministre de la Santé et le laboratoire pharmaceutique.
Merck et l'ANSM ont tout d'abord exclu un retour à l'ancienne formule, l'ANSM mettant en place un numéro vert, vite submergé d'appels. Début septembre, la ministre de la Santé reçoit des associations de patients et exclut, elle aussi, un retour à l'ancienne formule. Les patients insatisfaits continuent d'occuper la scène médiatique. Dans ce contexte, la voix des endocrinologues n'est pas audible. Pourtant, ils sont nombreux à dire que la nouvelle formule est meilleure que l'ancienne et qu'elle ne présente aucun danger vital pour les malades de la thyroïde. Certains spécialistes évoquent même un effet nocebo, les pathologies thyroïdiennes étant très liées au stress, l'hypermédiatisation des effets indésirables pourrait augmenter le risque de les subir.
Face à cette crise, la ministre de la Santé cède à la demande des patients et annonce le 15 septembre un retour du Levothyrox à son ancienne formule, à titre provisoire, et la mise sur le marché d'alternatives à ce médicament pour que les patients aient un choix. Il s'agit là d'un fait sans précédent. En quelques semaines, la pression de patients via les réseaux sociaux a changé la donne. Comme l'a souligné Agnès Buzyn " ce n'est pas un scandale sanitaire, mais c'est une crise d'information ".
Si l'information a été diffusée en amont auprès des professionnels, celle-ci s'est avérée inadéquate puisqu'elle n'a manifestement pas atteint son but. Ni l'ANSM ni Merck n'ont pris la mesure des conséquences possibles pour les patients du changement de formule. De plus, lorsque des patients ont commencé à se plaindre d'effets indésirables et que la polémique a enflé, certes pendant le mois d'août, l'ANSM a fait preuve d'une réactivité insuffisante pour les rassurer.
Pour autant, cette crise ne recouvre aucun scandale sanitaire. Bien qu'il n'existe aucune définition juridique du " scandale sanitaire ", on peut voir dans la notion deux aspects cumulatifs : d'une part, l'existence de fraudes ou d'actes pouvant être légalement répréhensibles et, d'autre part, une vague d'indignation du public dont la confiance dans le système de contrôle sanitaire est ébranlée. Si l'affaire du Mediator peut, par exemple, être qualifiée de " scandale sanitaire ", il n'en est pas de même pour le Levothyrox. Le Mediator avait reçu une AMM comme antidiabétique mais a été utilisé comme coupe-faim pour des patients non-diabétiques souhaitant perdre du poids. Avec le Levothyrox, rien de comparable. Le laboratoire a modifié la formule, non de sa propre initiative, mais à la demande de l'ANSM, pour en améliorer l'efficacité au bénéfice des patients.
Les annonces médiatisées de dépôt de plaintes pénales laissent supposer qu'il existerait un scandale sous-jacent dans la crise du Levothyrox. Pourtant, on peut penser qu'elles participent plus de l'exercice de moyens de pression de patients en colère pour obtenir un retour à l'ancienne formule que de la recherche des responsabilités dans des faits susceptibles d'une qualification pénale. Ces plaintes, comme l'initiative inédite du parquet de Marseille de mettre à disposition un formulaire pour porter plainte plus facilement, et l'annonce d'actions collectives civiles témoignent d'une judiciarisation grandissante de la société française. Elles sont aussi sans doute révélatrices de la perte de confiance des citoyens dans les institutions et plus particulièrement dans les institutions sanitaires. Restaurer la confiance ne se fait pas en un jour mais ce devrait être pour la ministre de la Santé et l'ANSM un chantier prioritaire.
Par Marie Albertini, avocate associée au cabinet Reed Smith. Elle est notamment spécialisée dans les contentieux et règlement des litiges. Elle déclare n'avoir aucun lien d'intérêt avec Merck ou les associations de patients ayant porté plainte.
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