En 2009, à l’occasion de l’appel de Cotonou contre le trafic de faux médicaments, le président Chirac mettait en garde avec force le monde contre l’une de ses fractures les plus préoccupantes : «De toutes les inégalités, la plus blessante est l’inégalité devant la santé.»

A l’évidence, cette alerte doit nous inspirer en cette journée mondiale de lutte contre le sida, alors que la situation internationale se révèle particulièrement préoccupante, car profondément inégalitaire concernant la maladie : 17 millions de personnes vivant avec le VIH attendent toujours d’avoir accès aux traitements.

Dans la mobilisation, contre le VIH/sida, la France a toujours occupé une place particulière. Avec la découverte du virus, bien sûr. Mais également, dans notre pays, avec les avancées thérapeutiques décisives réalisées ces dernières années, avec l’ensemble des politiques publiques, toujours insuffisantes mais pourtant bien réelles, mais aussi et surtout avec le travail essentiel et remarquable mené par les associations depuis plus de trente ans. 77% des personnes vivant avec le VIH en France suivent désormais un traitement anti-VIH et l’espérance de vie se rapproche de celle de la population générale.

Evidemment, de nombreux progrès restent à accomplir notamment dans le domaine du dépistage, notre principal défi, de la prévention qui ne saurait connaître de relâche, de la lutte contre les discriminations, encore trop nombreuses et inacceptables. Le combat est donc loin d’être terminé et il faudra utiliser tous les outils et moyens pour atteindre l’objectif 95-95-95 pour 2020 en France : 95% des personnes porteuses du virus ayant connaissance de leur séropositivité ; 95% des personnes diagnostiquées ayant un traitement antirétroviral ; 95% des personnes traitées ayant une charge virale indétectable et donc ne transmettant plus le virus.

Lutter contre une épidémie à deux vitesses

Beaucoup reste donc à faire ici. Mais la responsabilité de notre pays, c’est aussi de participer activement à la lutte contre le VIH/sida ailleurs, au niveau mondial, pour apporter des réponses innovantes et originales à une intolérable réalité, celle d’une épidémie à deux vitesses. La situation demeure en effet aujourd’hui alarmante dans les pays en développement, où 1 million de personnes meurent encore du sida chaque année. Sur les 37 millions de personnes qui vivent avec le VIH dans le monde, 26 millions sont en Afrique. Et seulement 53% des personnes vivant avec le virus bénéficient d’un traitement antirétroviral.

Les besoins sont donc colossaux : l’Onusida estime qu’il faudrait ajouter 7 milliards de dollars supplémentaires par an aux 19,1 milliards disponibles actuellement pour mettre fin à l’épidémie de VIH d’ici 2030 dans les pays à revenus faibles et intermédiaires. Or les contributions des pays développés sont en baisse, à leur niveau le plus bas depuis 2010. Il est donc urgent et nécessaire que les efforts dans la lutte contre le sida dans le monde soient intensifiés. C’est une obligation morale autant qu’une exigence de santé publique. Nous ne pouvons tolérer le fait que le VIH/sida tue encore 3 000 personnes chaque jour. Et la France doit redevenir la locomotive de la lutte au niveau international, notamment par son aide publique.

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C’est le sens de l’engagement du président de la République, Emmanuel Macron, qui vient de rappeler cette semaine au Burkina Faso, comme il l’avait fait en septembre devant l’Assemblée générale des Nations unies, la priorité qu’il fixait en matière de lutte contre les pandémies mondiales. Cette ambition réaffirmée fait honneur à notre pays. Elle passera par l’augmentation à 0,55 % du PIB du niveau d’aide publique au développement (APD) dans notre pays d’ici 2022. C’est un engagement très fort du chef de l’Etat. Un engagement salué par tous, qui nécessitera que l’APD fasse «l’objet de plus d’innovations, de plus d’intelligence, de méthodes différentes, d’une plus grande responsabilité sur le terrain», ainsi que le Président l’indiquait à New York. Cet engagement sera tenu.

Créer de nouveaux modèles de coopération

Pour autant, les seuls crédits budgétaires publics d’aide au développement, indispensables, ne sauraient suffire à eux seuls pour atteindre nos objectifs. Afin de répondre aux défis si essentiels du développement, il nous faut désormais inventer de nouveaux modèles de coopération. Tout comme il faut renforcer les outils existants. Notre effort doit contribuer également à la mobilisation du secteur privé et à la mise en place de nouveaux modes de financements innovants.

En 2002, déjà, le sommet de Monterrey ouvrait la voie aux financements innovants pour le développement. Conscients que l’aide budgétaire ne suffirait pas, des pays comme la France, le Chili, la Corée du Sud ou la République de Maurice adoptaient, dans la foulée de Monterrey, une taxe de solidarité sur les billets d’avion. Cette taxe a permis, pour notre seul pays, de mobiliser en à peine dix ans, plus d’un milliard d’euros en faveur de la lutte contre les grandes pandémies, notamment à travers Unitaid et le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Ces premiers pas ont été à l’évidence bien plus que prometteurs. Aussi devons-nous poursuivre en ce sens.

Dans ce contexte, le déplacement effectué cette semaine en Afrique par le président Macron revêt une dimension particulière : à Ouagadougou, il a rappelé l’engagement de la France pour l’accès de tous à la santé, insistant sur l’importance et la constance de la contribution de la France au Fonds mondial contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Il a fixé une feuille de route, et une méthode, pour la mise en place de systèmes de santé et d’infrastructures de qualité en Afrique, avec la mobilisation de financements privés français.

C’est dans cette voie nouvelle et ambitieuse que tous les acteurs du développement, pouvoirs publics, parlementaires, Agence française de développement, Expertise France, acteurs associatifs, investisseurs privés et société civile, devront s’engager pour faire de la question des financements du développement une priorité des prochaines années. Pour passer de l’urgence à la résilience, pour que se structurent au niveau de chaque Etat des systèmes de solidarité efficaces qui rendent l’aide caduque, il nous faudra sans aucun doute du temps. Une phase de transition est encore nécessaire. Elle requiert des moyens accrus.

Imagination, création et audace

A nous d’être imaginatifs, créatifs et audacieux afin de pouvoir relever les enjeux de la santé mondiale. Parce qu’il est d’une urgence vitale que nous nous mobilisions pour imaginer de nouvelles modalités d’action et de financement innovants.

Nous ne pourrions pas admettre que la lueur d’espoir que nous entrapercevons, celle de vivre dans un monde sans sida, puisse être compromise par l’amenuisement des engagements financiers de la lutte contre la pandémie. Pour permettre l’accès du plus grand nombre aux antirétroviraux, pour élargir l’accès au dépistage, pour investir toujours davantage dans la prévention, et l’accompagnement des personnes malades et de leurs proches, la question du financement doit demeurer prioritaire. Il en va de l’avenir de populations vulnérables. C’est une question de santé publique. C’est une question de dignité humaine.

Hugues Renson député de Paris (LREM)