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Sur le plateau de Millevaches, un nouveau modèle de santé est né

Pérols-sur-Vézère, au cœur du plateau de Millevaches, entre la Corrèze et la Creuse. Il est 14 heures. Soleil d’automne, la forêt siffle. Somptueuse et sauvage. Hêtres, épicéas, douglas, mélèzes. Un peu de neige accrochée aux cimes. Le village aux volets clos flanqués de panneaux « Maison à vendre » est comme figé dans un silence de cristal, pur. Seulement rompu par le cri d’un vol échevelé de grues dans le ciel.

Le plateau de Millevaches, un décor somptueux mais au climat rude en hiver.
Le plateau de Millevaches, un décor somptueux mais au climat rude en hiver.

Crédit photo : Stéphane Lartigue/"Sud Ouest"

On est au milieu, là où la densité de population est la plus basse de France. Où l’accès aux soins se révèle le plus compliqué. Imaginez trouver un ophtalmo, un dentiste, un gynéco ou un cardiologue à Pérols-sur-Vézère… C’est pourtant ici qu’est né un modèle de santé si audacieux, qu’il risque de faire voler en éclats nos vieux schémas. Il s’appelle : le pôle de santé Millesoins, la santé sur un plateau. Un pôle santé si attrayant qu’il attire des jeunes médecins généralistes encore plus sûrement que les aides versées par les pouvoirs publics pour « installation dans une zone déficitaire ».

La transition démographique

Antoine Prioux, le jeune pharmacien de Bugeat – commune située à trois kilomètres de Pérols –, déplore tout particulièrement l’expression « désert médical ». « Il n’existe pas de désert médical en France, s’indigne-t-il. Au cœur de l’Afrique, oui. Chez nous, on a, au pire, des zones mal adaptées. Le pays est resté bloqué sur un modèle de santé créé dans les années 1950, pendant les Trente Glorieuses. Il est usé. Obsolète. La transition démographique nous a rattrapés. Le nombre de patients, de personnages âgées ou souffrant de maladies chroniques multiples progresse. Les prises en charge se complexifient à mesure que la science avance. Le modèle de santé tel qu’il fut conçu pousse au côté obscur de la force, plutôt qu’au côté vertueux. »

Bugeat, au cœur du plateau des Millevaches, avec sa pharmacie et sa rue centrale, qui la relie à Ussel, où l’on trouve l’hôpital.
Bugeat, au cœur du plateau des Millevaches, avec sa pharmacie et sa rue centrale, qui la relie à Ussel, où l’on trouve l’hôpital.

Crédit photo : Stéphane Lartigue/"Sud Ouest"

« Moi, pharmacien, on me rémunère non sur la qualité de mon métier, mais sur la quantité de boîtes de médicaments vendues. Le médecin est rémunéré sur la quantité de ses actes, l’hôpital sur le volume de son activité et l’infirmière sur le nombre de kilomètres parcourus. En gros, aujourd’hui, plus les gens sont malades, mieux on est payés. C’est la bonne santé de la population qui doit nous enrichir, pas la maladie. En clair, mieux on soigne les gens, mieux on est payés. Moins je vends de médocs, plus je m’enrichis. »

Maison de santé virtuelle

Depuis les Millevaches, un pôle santé a émergé en trois ou quatre ans. Une maison de santé, sans les murs, car elle est virtuelle et fonctionne grâce à un outil commun : ordinateur et téléphone en réseau fermé, verrouillé. Médecins, infirmiers, pharmaciens travaillent en réseau coopératif sur tout le plateau. Ce pôle réunit aujourd’hui six généralistes, cinq pharmaciens, douze infirmiers, deux kinés et un dentiste. Pour environ 4 000 patients. Le truc, c’est cet outil informatique partagé, où les dossiers des malades, mais aussi les agendas des uns et des autres, sont réunis. Sans oublier un secrétariat commun pour assurer le lien.

Ce pôle de santé cogéré a attiré deux jeunes médecins sur le plateau. Inespéré

Les soignants partagent en temps réel les informations sur les personnes qu’ils traitent, ce qui permet au malade d’être mieux suivi individuellement. Les examens complémentaires, rendez-vous chez le spécialiste, intervention d’un kiné ou d’une aide à domicile sont anticipés. Le médecin n’est plus seul aux manettes. « La société a évolué. Certains médecins et soignants ont perdu l’esprit de sacrifice, ce qui ne les empêche pas d’aimer leur métier », martèle Antoine Prioux. Ce pôle de santé cogéré a attiré deux jeunes médecins sur le plateau. Inespéré.

La start-up Papillon

Antoine Prioux va encore plus loin. Il vient de créer une start-up baptisée Papillon, en référence à l’effet papillon ou à la théorie du chaos. Rien que ça. Il rêve d’un modèle de santé « vertueux » donc, et si cela fonctionne sur le papier, c’est également le cas sur le plateau Millevaches.« Un processus d’adaptation s’est mis en place sur le plateau, qui fait ses preuves, dit-il. Par ailleurs, je coordonne un projet de santé qui s’écrit jour après jour et attend d’être validé par l’Agence régionale de santé. Un cas unique. Il va répondre aux quatre P : prévention, personnalisation, participation, prédiction. »

Antoine Prioux imagine un modèle vertueux
Antoine Prioux imagine un modèle vertueux

Crédit photo : Stéphane Lartigue/"Sud Ouest"

Les informations récoltées par le pôle santé Millevaches constituent une base de données sur l’état de santé d’une population en temps réel, au cas par cas. « On connaît les besoins, on anticipe et on prévient, remarque Antoine Prioux. L’idée est d’arriver à la meilleure qualité de soins, au meilleur prix. Dans ce schéma, le pharmacien doit, lui aussi, changer de modèle et redevenir le gardien des poisons qu’il fut à l’origine. Car le pharmacien est le seul qui a un regard expert sur le médicament. Ainsi, à lui de vérifier les éventuelles interactions médicamenteuses, d’évaluer la balance bénéfice-risque des prescriptions, avec le dossier du patient sous les yeux. Il pourra ainsi assurer une meilleure efficience des traitements. Et, plus largement, grâce à un logiciel performant, être au plus près des besoins d’une population entière, en termes de santé publique et de prévention. »

« Le pharmacien n’est pas un commerçant. Nombre d’entre nous l’ont oublié »

La start-up Papillon est en train d’élaborer un logiciel de pharmacie qui sera relié aux logiciels de maisons de santé, en circuit fermé. « Le pharmacien n’est pas un commerçant. Nombre d’entre nous l’ont oublié, insiste Antoine Prioux. Nous avons un rôle majeur à jouer en termes de santé publique. Je commence à travailler ici, depuis Bugeat, avec ce logiciel en construction. Sur les cinq pharmacies inscrites dans le pôle santé du plateau, trois me suivent, bientôt quatre. Nous allons montrer l’exemple. On a deux ans pour faire la preuve que ce concept est vertueux. Il permettra de faire des économies de santé et de mieux soigner les gens, tout en libérant les médecins de la problématique de la compatibilité médicamenteuse. »

Si ça marche, alors la start-up Papillon pourra commercialiser ce logiciel et le distribuer partout en France. En attendant, Antoine Prioux va installer un petit cabinet dans sa pharmacie, où il pourra s’entretenir avec ses « clients ». Cet après-midi-là, Claudine est passée à la pharmacie de Bugeat pour récupérer les médicaments de Paulette, malade et coincée chez elle. Monsieur R., a acheté son vaccin antigrippal, celui de sa femme et de sa voisine. Madame P. a rouspété parce qu’on lui avait changé son médicament pour la thyroïde…

Un jeune médecin sur le plateau

Timothée Grenaille est le tout jeune médecin recruté par le pôle de santé Millesoins, la santé sur un plateau. Il a 30 ans. « Ce n’était pas prévu. Je n’avais pas imaginé, lorsque j’ai fait mes études de médecine à Limoges, qu’un jour, médecin généraliste, je viendrai m’installer sur le plateau de Millevaches. J’ai fait mon internat à l’hôpital d’Ussel, pas très loin, et j’ai rencontré des médecins sur le plateau, où j’ai fait plusieurs stages. J’ai été convaincu. Ce pôle de santé est exemplaire, je ne suis jamais seul, je peux toujours compter sur mes confrères et je n’ai pas le sentiment d’être piégé. C’est un véritable travail d’équipe avec beaucoup de confraternité et de respect. Je travaille de 8 heures à 20 heures, je consulte trois patients par heure et j’assure environ une à trois visites à domicile par jour. Le système de garde est assez confortable : un week-end toutes les quatre à cinq semaines. Lorsqu’il y a une urgence, le week-end ou la nuit, les gens savent qu’ils doivent appeler le 15. Il y a une première régulation qui se fait avec un médecin référent. Nous intervenons la nuit, à la demande du 15. La médecine n’est pas forcément un sacerdoce. Je prends soin de moi, je fais du sport toutes les semaines. Et puis, la vie, ici, est organisée. On peut acquérir des maisons pour par très cher, la campagne est belle, l’air est pur. Parmi mes patients, il y a beaucoup de personnes âgées, mais aussi quelques jeunes ménages, des enfants. »

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