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Césarienne, épisiotomie... enquête sur la médicalisation de l'accouchement en France

Guillaume Degouy, interne en anesthésie réanimation, met en place une péridurale, à la maternité Jeanne de Flandres de Lille, le 23 janvier.

Pour la naissance de son enfant, Janet s’était inscrite dans une clinique avec baignoire, ballon, monitoring ambulatoire… Mais « au jour J, le descriptif de la brochure s’est effacé. On ne respecte pas le projet</a> de naissance, épisiotomie faite sans consentement, pas d’aide</a> à l’allaitement, etc. »

« Soit on se débrouille seule avec sa douleur, et autant rester</a> chez soi, soit on prend la péridurale »

Rachel a aussi « un souvenir</a> très amer » de son accouchement, où « malgré la gentillesse du personnel, aucun accompagnement n’est possible : soit on se débrouille seule avec sa douleur, et autant rester chez soi, soit on prend la péridurale ». Ces témoignages recueillis sur le site du Monde illustrent le décalage entre les attentes des femmes et la réponse systématiquement médicalisée des maternité</a>s.

La situation devrait évoluer</a> puisqu’une recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS), publiée le 25 janvier, préconise désormais de « limiter les interventions techniques et médicamenteuses au minimum nécessaires » et de respecter</a> le rythme de la naissance.

Si les taux de césarienne, épisiotomie (incision du périnée) et péridurale se sont stabilisés après trente ans de hausse, les pratiques restent très disparates en France</a>, comme le montrent les statistiques recueillies par Les Décodeurs du Monde sur les actes réalisés en 2016 dans les 519 maternités, avec l’aide de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP). Seules quelques maternités et le réseau de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse</a> n’ont pas communiqué leurs données. Même si ces chiffres ne décrivent pas tout (positions d’accouchement, déclenchement, empathie, etc.), ils constituent un baromètre de la médicalisation des naissances.

Dans le privé, l’accompagnement n’est pas toujours meilleur

Etonnamment, ce ne sont pas les maternités de type III, spécialisée dans les grossesses à risques et les complications néonatales, qui sont les plus « interventionnistes », mais plutôt des cliniques privées de type I ou IIA, destinées aux accouchements normaux.

« J’ai recueilli beaucoup de témoignages de femmes qui pensaient être</a> mieux traitées dans le privé. Les locaux sont plus jolis, mais l’accompagnement n’est pas toujours meilleur », constate Marie-Hélène Lahaye, auteur de Accouchement, les femmes méritent mieux (Michalon, 2018).

Les interventions médicales plus fréquentes dans les maternités privées

Données calculées sur les actes réalisées dans les 519 maternités de France en 2016. Les taux d'épisiotomie et de péridurale sont manquants dans 17 % des établissements, en particulier dans les régions Paca et Corse.
Source : Les Décodeurs
« La décision reste à l’entière appréciation du praticien »

Le collège des obstétriciens recommande de réduire</a> le taux d’épisiotomie en deçà de 30 %. Ce seuil est pourtant dépassé en 2016 par trente-huit maternités, dont 43 % de cliniques privées, alors qu’elles ne représentent que 25 % des établissements en France. Les césariennes représentent un accouchement sur quatre dans seulement dix-sept maternités publiques, contre soixante-huit établissements dans le privé.

Quatre cliniques de l’ouest parisien (La Muette, les Franciscaines, la clinique Lambert et Parly-II) dépassent 30 % de césariennes. Elles appartiennent au groupe Ramsay GDS, qui explique que « la décision reste à l’entière appréciation du praticien dans le cadre de la prise en charge de sa patiente ».

Gérer le temps et « éviter</a> les coups de feu »

Nathan Wrobel, directeur médical à la clinique Sainte-Thérèse, à Paris</a>, a réduit en quelques années le taux de césarienne de 35 % à 26 %. Il confirme que « l’hétérogénéité des praticiens est difficilement contrôlable » dans le privé, où les accouchements sont réalisés par des médecins libéraux, qui suivent leurs patientes depuis le début de la grossesse</a>.

« Certaines pratiques obstétricales se sont perdues et la césarienne est devenue systématique pour les sièges [quand le bébé n’a pas la tête en bas], les naissances de jumeaux ou pour éviter des extractions instrumentales. Sur le plan médico-légal, c’est la sécurité. »

Le record en la matière est détenu par l’hôpital américain de Neuilly, qui pratiquait 51 % de césarienne en 2016. Un chiffre que le docteur Amina Yamgnane, responsable de la maternité, explique par l’âge élevé des mères, la demande des femmes (dans 9 % des cas) et la volonté d’éviter des « accouchements acrobatiques par voie basse » qui augmenteraient les transferts</a> néonataux.

Au-delà du risque juridique, les cliniques doivent aussi gérer</a> le temps. Le docteur Wrobel explique que dans sa clinique, de nombreux accouchements par voie basse sont déclenchés, ce qui est « confortable » pour l’organisation des jeunes mères et pour « éviter les coups de feu » en salle de naissance, mais augmente les interventions médicales.

Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée, relativise le décalage de pratiques entre public et privé : « Pour les césariennes, l’écart de 3 % ne représente que 5 000 interventions, ce n’est pas alarmant. Mais il y a, en effet, des disparités étonnantes entre les régions. »

Plus de 22 % de césarienne en Ile-de-France, moins de 16 % en Bourgogne-Franche-Comté
Taux calculés par Les Décodeurs à partir des actes réalisés en France en 2016 (PMSI)
Source : Les Décodeurs

Grand écart entre l’Ile-de-France</a> et la Franche-Comté

« On manque de sages-femmes pour avoir</a> le temps de réaliser</a> des accouchements physiologiques »

Ce ne sont pas seulement les quelques cliniques huppées qui expliquent la médicalisation en Ile-de-France, mais aussi des inégalités d’accès au soin, comme l’explique Catherine Crenn-Hebert, membre de l’équipe chargée des indicateurs périnataux à l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France : « Il y a une très grande hétérogénéité des territoires avec pour certains, précarité et grossesses peu ou mal suivies, des mères plus âgées, des cas d’hypertension… Et l’organisation des maternités ne permet pas, le plus souvent, d’avoir un nombre de sages-femmes suffisant pour réaliser des accouchements physiologiques. »

A l’inverse, certaines maternités d’outre-mer</a>, comme Mayotte ou la Guyane</a>, affichent des taux très faibles, reflétant un manque de personnel et des traditions d’accouchement différentes.

Plus de 21 % d'épisiotomie en Ile-de-France, contre 9 % en Bourgogne-Franche-Comté
Taux calculés par Les Décodeurs à partir des actes réalisés en France en 2016 (PMSI). Données manquantes en Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse après refus des réseaux de santé en périnatalité concernés.
Source : Les Décodeurs, FFRSP

En métropole, certaines régions limitent aussi les interventions médicales. La Bourgogne</a>-Franche-Comté affiche les taux les plus bas de césarienne et épisiotomie. L’école obstétricale du centre</a> hospitalier de Besançon (moins de 1 % d’épisiotomie), souvent citée en exemple, a ainsi contribué à former</a> les praticiens de la maternité de Trévenans (Territoire de Belfort</a>) ou de Lons-le-Saunier.

Le Grand Est affiche aussi des taux de péridurale très bas. On y trouve deux des huit maisons de naissance françaises. Ces structures gérées par des sages-femmes pour garantir</a> un accouchement physiologique ne peuvent réaliser ni césarienne ni péridurale. Expérimentées pour la première fois en 2016, elles n’ont accueilli que quelques dizaines de naissances.

Plus de 85 % de péridurale en Ile-de-France, contre 76 % dans le Grand Est et 11 % à Mayotte
Taux calculés par Les Décodeurs à partir des actes réalisés en France en 2016 (PMSI). Données manquantes en Provence-Alpes-Côte d'Azur et Corse après refus des réseaux de santé en périnatalité concernés.
Source : Les Décodeurs, FFRSP

Pas de prime aux petites maternités

Dans notre appel à témoignage, de nombreuses femmes expriment leur désir d’accoucher dans une petite structure « familiale ». Un choix à rebours des politiques publiques, qui ont divisé par trois le nombre de maternités depuis trente ans.

Selon nos statistiques, la taille influe peu sur les pratiques médicales, hormis pour les péridurales, puisqu’au-delà de 1 500 naissances, un anesthésiste est présent en permanence. Le taux d’épisiotomie est même inférieur à la moyenne (16,7 %) dans les maternités réalisant entre mille et deux mille naissances.

La taille des maternités influe peu sur le taux de césarienne et d'épisiotomie, mais augmente le recours à la péridurale

Données calculées sur les actes réalisées dans les 519 maternités de France en 2016. Les taux d'épisiotomie et de péridurale sont manquants dans 17 % des établissements, en particulier dans les régions Paca et Corse.
Source : Les Décodeurs
« Dans une grosse structure, on a plus de chance de trouver</a> quelqu’un d’aguerri qui s’adaptera à votre projet »

« Les femmes pensent qu’une maternité plus petite sera plus humaine, mais cela n’a rien à voir</a>, explique Sophie Guillaume, présidente du Collège national des sages-femmes (CNSF). Dans une grosse structure, on a plus de chance de trouver quelqu’un d’aguerri, qui s’adaptera à votre projet. Si vous</a> voulez accoucher</a> sans péridurale, la demande peut être angoissante pour un professionnel qui ne l’a jamais pratiqué. » Le CNSF prône une sage-femme par patiente, contre une pour trois actuellement.

La quantité de personnel dépend du nombre de naissances. A l’hôpital de Redon (Ille-et-Vilaine), qui affiche des taux très bas (9 % de césariennes, 9,5 % d’épisiotomies, 49 % de péridurales), la sage-femme coordinatrice, Joanique Vanhove, est fière de proposer</a> un « accompagnement individualisé » : « On a la chance d’avoir des effectifs suffisants car on réalise à peine plus que le seuil de cinq cents accouchements. Si on augmentait, on ne pourrait pas répondre</a> aux demandes. »

19 h 13. A leur arrivée à la maternité, toutes les femmes sont mises sous monitoring. Dans le bureau d’accueil et la salle de repos des sages-femmes, des écrans affichent  les rythmes cardiaques des enfants à naître et les contractions de toutes les patientes. En ce début de soirée, il y a six patientes en salles de naissance.
19 h 27. Toutes les nuits, quatre sages-femmes sont de garde. Ici, pendant la « transmission », les sages-femmes de jour expliquent les différents dossiers aux sages-femmes de nuit. Au milieu : Flora Jedryszek et Louise Hiriart sont les deux premières sages-femmes de la relève de 19 h 30. Leur garde durera jusqu’à 7 h 30, le lendemain matin.
19 h 46. Léopoldine, 26 ans, va donner naissance à son premier enfant. Son accouchement a été déclenché la veille, vers 17 heures, à la suite d’une fissure de la poche des eaux. De nombreux appareils l'entourent : monitoring, perfusion d'ocytocique pour augmenter les contractions, pousse-seringue pour alimenter la péridurale...
19 h 56. L'accouchement de Stéphanie a été déclenché, car le rythme cardiaque de son enfant était trop rapide. Pour accélérer la naissance, Louise Hiriart (à droite) perce la poche des eaux, elle est aidé d’une autre sage-femme, qui n'a pas encore quitté sa garde de jour.
20 h 30. Guillaume Degouy, interne en anesthésie-réanimation, met en place une péridurale sur Elodie, dont l'accouchement a été déclenché pour macrosomie foetale (son enfant est trop gros). Le taux de péridurale est stable autour de 80 %, dans la moyenne.
21 h 23. Flora Jedryszek explique à une patiente, qui a requis l’anonymat, l'avancée de l'enfant et la forme de son col. Elle vient l'examiner toutes les heures. A son arrivée à la maternité, l’enfant était en position transverse. Après deux tentatives de version (une manœuvre qui consiste à remettre l'enfant la tête en bas), une césarienne est envisagée, que la patiente refuse. En début de garde, la gynécologue-obstétricienne Capucine Coulon a donc fait une quatrième tentative, qui s’est avérée fructueuse.
22 h 49. Dans la salle de repos de la maternité, les sages-femmes profitent d'un moment de calme pour dîner.
22 h 56. Flora Jedryszek (à droite) fait un point sur ses patientes avec les deux gynécologues-obstétriciennes de garde : Audrey Leroy, cheffe de clinique (à gauche), et Capucine Coulon, praticienne hospitalière (au milieu).
0 h 45. Jean-Luc, le compagnon de Stéphanie, n'a pas dormi depuis deux jours. Il profite de la progression lente du travail pour se reposer.
1 h 03. Les sages-femmes à la Rotonde, le bureau d'accueil de la maternité.
1 h 18. Les sages-femmes se retrouvent à la Rotonde tout au long de la nuit pour bavarder et aussi se tenir au courant de la progression de leurs patientes. Une sage-femme suit plusieurs patientes en même temps. Si elle n'est pas disponible à un moment, il faut que ses collègues puissent prendre le relais et donc connaître les dossiers.
2 h 19. Au bout de deux jours de travail, Stéphanie met au monde son deuxième enfant, un garçon. Les sages-femmes invitent Jean-Luc, le père, à sortir son enfant.
2 h 30. Jean-Luc filme son fils après la naissance. Les smartphones sont de plus en plus présents dans les salles de naissance.
3 h 11. Louise Hiriart appelle les sages-femmes d’un autre étage pour trouver des chambres aux femmes venant d'accoucher. S’il n'y a pas eu de complications pendant l'accouchement, les patientes resteront sous surveillance pendant deux heures avant de monter en chambre.
4 h 45. Deux heures après l’accouchement, Stéphanie et son fils rejoignent leur chambre. Sans complication pour elle ou son enfant, ils y resteront trois jours.
5 h 10. Audrey Leroy, gynécologue-obstétricienne, a été réveillée par les sages-femmes une heure auparavant, car deux accouchements ne progressent plus. Accompagnée de Flora Jedryszek et d’une étudiante sage-femme, elle explique à la patiente, qui avait évité la césarienne, que la dilatation de son col évolue peu. La patiente, elle, refuse toujours la perspective de ne pas accoucher par voie basse. Dans une heure, il faudra prendre une décision définitive.
06 h 08. Une des sages-femmes profite d'un moment de calme pour s'assoupir quelques minutes.
7 h 23. C'est au tour de Capucine Coulon, gynécologue-obstétricienne d'être réveillée. Il faut prendre une décision pour enclencher ou non la césarienne. La patiente n'est pas d'accord, mais après de nombreuses explications, elle finit par accepter. Un « code vert » est déclenché : une césarienne peu urgente à pratiquer dans l'heure.
7 h 36. Fin de la garde pour l’équipe de nuit qui transmet ses informations à l’équipe de jour.
8 h 07. Malgré ses tentatives pour éviter à une de ses patientes une césarienne en début de garde, Capucine Coulon, gynécologue-obstétricienne, procède à l’intervention.
8 h 08. Juste après la naissance, le champ opératoire, qui sépare la mère de son ventre, est baissé pour qu’elle puisse voir son enfant. Le pourcentage de césariennes est stable à 18 %, bien que les grossesses les plus compliquées de la région aboutissent ici. « Le fait de discuter celles dont on n’est pas certain, en demandant un deuxième avis, réduit les césariennes inutiles », explique Philippe Deruelle, gynécologue-obstétricien à Jeanne-de-Flandre et professeur au CHU de Lille.
8 h 34. Tous les matins à 8 heures commence la réunion du « staff » en présence de toutes les équipes de la maternité (pédiatres, internes, gynécologues, sages-femmes...). Elle permet de faire le point sur différents patients de l’ensemble de la maternité. Une sage-femme présente les cas difficiles de la nuit, s’il y en a eu. Cette réunion permet aussi d’évoquer de nouvelles techniques et recherches. A droite, Audrey Leroy termine sa garde.
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19 h 13. A leur arrivée à la maternité, toutes les femmes sont mises sous monitoring. Dans le bureau d’accueil et la salle de repos des sages-femmes, des écrans affichent  les rythmes cardiaques des enfants à naître et les contractions de toutes les patientes. En ce début de soirée, il y a six patientes en salles de naissance.

JULIE BALAGUÉ POUR « LE MONDE »

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