Pour la naissance de son enfant, Janet s’était inscrite dans une clinique avec baignoire, ballon, monitoring ambulatoire… Mais « au jour J, le descriptif de la brochure s’est effacé. On ne respecte pas le projet</a> de naissance, épisiotomie faite sans consentement, pas d’aide</a> à l’allaitement, etc. »
Rachel a aussi « un souvenir</a> très amer » de son accouchement, où « malgré la gentillesse du personnel, aucun accompagnement n’est possible : soit on se débrouille seule avec sa douleur, et autant rester chez soi, soit on prend la péridurale ». Ces témoignages recueillis sur le site du Monde illustrent le décalage entre les attentes des femmes et la réponse systématiquement médicalisée des maternité</a>s.
La situation devrait évoluer</a> puisqu’une recommandation de la Haute Autorité de santé (HAS), publiée le 25 janvier, préconise désormais de « limiter les interventions techniques et médicamenteuses au minimum nécessaires » et de respecter</a> le rythme de la naissance.
Si les taux de césarienne, épisiotomie (incision du périnée) et péridurale se sont stabilisés après trente ans de hausse, les pratiques restent très disparates en France</a>, comme le montrent les statistiques recueillies par Les Décodeurs du Monde sur les actes réalisés en 2016 dans les 519 maternités, avec l’aide de la Fédération française des réseaux de santé en périnatalité (FFRSP). Seules quelques maternités et le réseau de Provence-Alpes-Côte d’Azur et Corse</a> n’ont pas communiqué leurs données. Même si ces chiffres ne décrivent pas tout (positions d’accouchement, déclenchement, empathie, etc.), ils constituent un baromètre de la médicalisation des naissances.
Dans le privé, l’accompagnement n’est pas toujours meilleur
Etonnamment, ce ne sont pas les maternités de type III, spécialisée dans les grossesses à risques et les complications néonatales, qui sont les plus « interventionnistes », mais plutôt des cliniques privées de type I ou IIA, destinées aux accouchements normaux.
« J’ai recueilli beaucoup de témoignages de femmes qui pensaient être</a> mieux traitées dans le privé. Les locaux sont plus jolis, mais l’accompagnement n’est pas toujours meilleur », constate Marie-Hélène Lahaye, auteur de Accouchement, les femmes méritent mieux (Michalon, 2018).
Le collège des obstétriciens recommande de réduire</a> le taux d’épisiotomie en deçà de 30 %. Ce seuil est pourtant dépassé en 2016 par trente-huit maternités, dont 43 % de cliniques privées, alors qu’elles ne représentent que 25 % des établissements en France. Les césariennes représentent un accouchement sur quatre dans seulement dix-sept maternités publiques, contre soixante-huit établissements dans le privé.
Quatre cliniques de l’ouest parisien (La Muette, les Franciscaines, la clinique Lambert et Parly-II) dépassent 30 % de césariennes. Elles appartiennent au groupe Ramsay GDS, qui explique que « la décision reste à l’entière appréciation du praticien dans le cadre de la prise en charge de sa patiente ».
Gérer le temps et « éviter</a> les coups de feu »
Nathan Wrobel, directeur médical à la clinique Sainte-Thérèse, à Paris</a>, a réduit en quelques années le taux de césarienne de 35 % à 26 %. Il confirme que « l’hétérogénéité des praticiens est difficilement contrôlable » dans le privé, où les accouchements sont réalisés par des médecins libéraux, qui suivent leurs patientes depuis le début de la grossesse</a>.
« Certaines pratiques obstétricales se sont perdues et la césarienne est devenue systématique pour les sièges [quand le bébé n’a pas la tête en bas], les naissances de jumeaux ou pour éviter des extractions instrumentales. Sur le plan médico-légal, c’est la sécurité. »
Le record en la matière est détenu par l’hôpital américain de Neuilly, qui pratiquait 51 % de césarienne en 2016. Un chiffre que le docteur Amina Yamgnane, responsable de la maternité, explique par l’âge élevé des mères, la demande des femmes (dans 9 % des cas) et la volonté d’éviter des « accouchements acrobatiques par voie basse » qui augmenteraient les transferts</a> néonataux.
Au-delà du risque juridique, les cliniques doivent aussi gérer</a> le temps. Le docteur Wrobel explique que dans sa clinique, de nombreux accouchements par voie basse sont déclenchés, ce qui est « confortable » pour l’organisation des jeunes mères et pour « éviter les coups de feu » en salle de naissance, mais augmente les interventions médicales.
Lamine Gharbi, président de la Fédération de l’hospitalisation privée, relativise le décalage de pratiques entre public et privé : « Pour les césariennes, l’écart de 3 % ne représente que 5 000 interventions, ce n’est pas alarmant. Mais il y a, en effet, des disparités étonnantes entre les régions. »
Grand écart entre l’Ile-de-France</a> et la Franche-Comté
Ce ne sont pas seulement les quelques cliniques huppées qui expliquent la médicalisation en Ile-de-France, mais aussi des inégalités d’accès au soin, comme l’explique Catherine Crenn-Hebert, membre de l’équipe chargée des indicateurs périnataux à l’Agence régionale de santé d’Ile-de-France : « Il y a une très grande hétérogénéité des territoires avec pour certains, précarité et grossesses peu ou mal suivies, des mères plus âgées, des cas d’hypertension… Et l’organisation des maternités ne permet pas, le plus souvent, d’avoir un nombre de sages-femmes suffisant pour réaliser des accouchements physiologiques. »
A l’inverse, certaines maternités d’outre-mer</a>, comme Mayotte ou la Guyane</a>, affichent des taux très faibles, reflétant un manque de personnel et des traditions d’accouchement différentes.
En métropole, certaines régions limitent aussi les interventions médicales. La Bourgogne</a>-Franche-Comté affiche les taux les plus bas de césarienne et épisiotomie. L’école obstétricale du centre</a> hospitalier de Besançon (moins de 1 % d’épisiotomie), souvent citée en exemple, a ainsi contribué à former</a> les praticiens de la maternité de Trévenans (Territoire de Belfort</a>) ou de Lons-le-Saunier.
Le Grand Est affiche aussi des taux de péridurale très bas. On y trouve deux des huit maisons de naissance françaises. Ces structures gérées par des sages-femmes pour garantir</a> un accouchement physiologique ne peuvent réaliser ni césarienne ni péridurale. Expérimentées pour la première fois en 2016, elles n’ont accueilli que quelques dizaines de naissances.
Pas de prime aux petites maternités
Dans notre appel à témoignage, de nombreuses femmes expriment leur désir d’accoucher dans une petite structure « familiale ». Un choix à rebours des politiques publiques, qui ont divisé par trois le nombre de maternités depuis trente ans.
Selon nos statistiques, la taille influe peu sur les pratiques médicales, hormis pour les péridurales, puisqu’au-delà de 1 500 naissances, un anesthésiste est présent en permanence. Le taux d’épisiotomie est même inférieur à la moyenne (16,7 %) dans les maternités réalisant entre mille et deux mille naissances.
« Les femmes pensent qu’une maternité plus petite sera plus humaine, mais cela n’a rien à voir</a>, explique Sophie Guillaume, présidente du Collège national des sages-femmes (CNSF). Dans une grosse structure, on a plus de chance de trouver quelqu’un d’aguerri, qui s’adaptera à votre projet. Si vous</a> voulez accoucher</a> sans péridurale, la demande peut être angoissante pour un professionnel qui ne l’a jamais pratiqué. » Le CNSF prône une sage-femme par patiente, contre une pour trois actuellement.
La quantité de personnel dépend du nombre de naissances. A l’hôpital de Redon (Ille-et-Vilaine), qui affiche des taux très bas (9 % de césariennes, 9,5 % d’épisiotomies, 49 % de péridurales), la sage-femme coordinatrice, Joanique Vanhove, est fière de proposer</a> un « accompagnement individualisé » : « On a la chance d’avoir des effectifs suffisants car on réalise à peine plus que le seuil de cinq cents accouchements. Si on augmentait, on ne pourrait pas répondre</a> aux demandes. »
19 h 13. A leur arrivée à la maternité, toutes les femmes sont mises sous monitoring. Dans le bureau d’accueil et la salle de repos des sages-femmes, des écrans affichent les rythmes cardiaques des enfants à naître et les contractions de toutes les patientes. En ce début de soirée, il y a six patientes en salles de naissance.
JULIE BALAGUÉ POUR « LE MONDE »
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