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Double greffe de visage: «il y aura toujours un risque de rejet»

INTERVIEW - Le Pr Lantieri, chirurgien à l’hôpital européen Georges Pompidou (AP-HP), a réalisé avec son équipe deux greffes de visage successives sur un même patient. Une première mondiale qu’il raconte au Figaro.

Le 14 janvier 2018, le Pr Laurent Lantieri est appelé en urgence par l’Agence de la Biomédecine, qui lui annonce qu’un visage est disponible au prélèvement. Une nouvelle très attendue par le chirurgien, son équipe et par Jérôme Hamon. À ce moment-là, ce dernier vit en effet depuis un mois et demi sans visage. Atteint d’une maladie génétique déformant son visage, la neurofibromatose de type 1, l’homme de 41 ans a reçu une première greffe de face en 2010.

Mais en 2015, coup de théâtre: il développe un rejet chronique. Attaqué par le système immunitaire, le greffon est peu à peu détruit. À l’été 2017, Jérôme Hamon est hospitalisé et, en novembre, son second visage lui est retiré. Or sans peau, l’organisme est l’objet d’attaques microbiennes répétées (virus, bactéries) pouvant conduire à la septicémie, et donc au décès. Seule issue possible: réaliser une nouvelle greffe de visage, chose qui n’a jamais été faite jusque-là. Le Pr Lantieri répond aux questions du Figaro sur cette première mondiale.

LE FIGARO. - Quels obstacles avez-vous rencontré lors de cette opération chirurgicale inédite?

«Une trentaine de professionnels de santé se sont relayés pendant 10 heures»

Pr Laurent Lantieri

Ça s’est beaucoup mieux passé que nous ne le craignions. La première chose était de trouver un donneur compatible, ce qui a été possible deux mois après avoir retiré à Jérôme son premier greffon. Je suis parti le lundi 15 janvier à 6 heures du matin avec une équipe pour prélever le greffon dans l’hôpital où se trouvait le donneur, tandis qu’une autre équipe, dirigée par le Dr Mickaël Hivelin, préparait Jérôme à recevoir cette nouvelle greffe. Lorsque nous sommes arrivés à Paris vers 23 heures, tout était prêt. Il ne restait qu’à rebrancher les artères, les veines et les nerfs. Au total, une trentaine de professionnels de santé se sont relayés pendant 10 heures.

Comme Jérôme avait la chair à vif, il a fait l’objet d’infections microbiennes et ce malgré les pansements changés tous les jours. Mais nous ne voulions pas utiliser trop d’antibiotiques, de peur de sélectionner par mégarde des bactéries résistantes aux antibiotiques. Par ailleurs, comme il avait rejeté son premier visage et qu’il avait développé beaucoup d’anticorps, nous craignions qu’il fasse un rejet aigu du greffon, avec nécrose totale en quelques heures. Heureusement, cela ne s’est pas produit.

Par ailleurs, je tiens à souligner que les autorités sanitaires (l’Agence du médicament, l’Agence de la biomédecine et la direction de mon hôpital) ont parfaitement contribué à la réalisation de cette opération.

Avez-vous une idée du prix de cette opération hors norme?

Bien sûr. Très rapidement, j’ai cherché à faire évaluer cette opération. La greffe seule a coûté 50.000 euros et les traitements médicamenteux ont coûté 200.000 euros au total.

Jérôme Hamon va-t-il retrouver l’usage total de ce nouveau visage, comme si celui-ci lui avait toujours appartenu?

Nous avons rebranché les nerfs du greffon au nerf facial du patient, situé sous l’oreille. C’est ce nerf qui permet l’animation de la face. Or un nerf est comme un fil électrique: il comprend une gaine entourant des axones, et ce sont eux qui conduisent le signal. Nous avons connecté les gaines, il faut désormais que les axones repoussent. Ils grandissent de 1 millimètres par jour. Dans 2 à 3 mois, nous saurons si la repousse nerveuse s’est bien faite, mais ce n’est pas possible de le prévoir.

«Il devra suivre un traitement immunosuppresseur à vie. Mais même avec cela, le risque de rejet du greffon ne sera jamais nul.»

Pr Lantieri

Et une vie normale?

Il est très entouré, sa famille le soutient. Ce qui est paradoxal, c’est que c’est plus difficile maintenant qu’avant l’opération. C’est une expérience extrêmement traumatisante et il y a résisté. Mais il a bien sûr besoin d’un soutien psychologique. Des psychiatres de l’hôpital, où il est encore pris en charge, le suivent très régulièrement.

Par ailleurs, il a encore des difficultés à s’alimenter normalement. Pendant plusieurs mois, il a été nourri par une sonde et il respirait à l’aide d’une trachéotomie. Tout ça inhibe fortement l’appétit et les fonctions de déglutition. Sans compter que les nerfs qui permettent de déglutir ont été abîmés par les opérations successives. Jérôme est affaibli par des mois de traitements, les infections qu’il a subies ainsi qu’une perte de poids importante. Il ne pourra pas quitter l’hôpital avant d’avoir retrouvé une bonne forme. Par ailleurs, il devra suivre un traitement immunosuppresseur à vie. Mais même avec cela, le risque de rejet du greffon ne sera jamais nul.

Pour réaliser cette intervention médicale, il a fallu prélever le visage d’un homme de 22 ans décédé. Comment cela s’est déroulé?

Le donneur se trouvait en état de mort cérébrale, c’est-à-dire qu’il ne présentait plus d’activité cérébrale mais son cœur battait encore. Dans ce cas, le cœur continue de fonctionner pendant 48 heures tout au plus, il faut donc prélever les organes dans les 12 heures suivant le diagnostic. La famille du jeune homme s’est d’emblée positionnée en faveur du don d’organe. Nous lui avons demandé si elle acceptait que l’on prélève le visage. En théorie, il est possible de prélever sans demander aux familles (tout le monde est potentiellement donneur, sauf s’il l’a signalé à l’Agence de la biomédecine, NDLR). Mais en pratique, c’est inconcevable. Il y a un respect des familles et des défunts. Il n’est pas question que l’on se serve d’un mort de façon purement utilitaire.

Nous sommes venus avec un prothésiste. Avant de prélever le visage, celui-ci a réalisé un moulage qui lui a permis de fabriquer un masque le temps de l’intervention. À la fin, nous avons posé ce masque extrêmement ressemblant, qui permet de respecter le visage du donneur. Même si la famille ne souhaite pas le voir, nous le faisons, par respect pour la personne. Je tiens d’ailleurs à rappeler que sans don, il n’y a pas de greffe. Le don d’organe est un geste altruiste fondamental.

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