Le déremboursement des médicaments inquiète patients et médecins
Entre 800 000 et 1,2 million de personnes seraient touchées en France par Alzheimer et les maladies qui lui sont associées. Des estimations difficiles à vérifier. L'arithmétique est beaucoup plus simple concernant les médicaments permettant d'atténuer les symptômes de ces pathologies, traduite par une dégénérescence du cerveau et des pertes de mémoire : ils sont, à compter d'hier, déremboursés. Alors qu'ils l'étaient à hauteur de 60 % avant 2011, 15 % depuis, ils ne seront plus pris en charge par l'assurance-maladie dès le 1er août.
Prévisible, la nouvelle a été anticipée jeudi par la ministre de la Santé, Agnès Buzyn. "Une mesure purement médicale", défend celle qui a dirigé la Haute Autorité de Santé au moment où celle-ci rendait des rapports scientifiques jugeant les quatre médicaments anti-Alzheimer "peu efficaces", voire "nocifs". Ce qui lui vaut une volée de bois vert de la part des proches des malades, des associations et des professionnels de santé.
"L'effet symbolique peut être dévastateur pour les familles"
"Il semblerait que dans la balance économique, la qualité de vie des personnes malades et de leurs proches ne pèse pas très lourd", réagit l'association France Alzheimer. Cinq organisations professionnelles médicales assurent, elles, que ces médicaments "ont prouvé leur efficacité sur la cognition dans la maladie d'Alzheimer, la maladie à corps de Lewy et la démence de la maladie de Parkinson". Alors que le coût de ces quatre molécules (Aricept, Ebixa, Exelon, Reminyl et leurs génériques) s'attaquant aux symptômes du mal, pas à ses causes, a été estimé à 90 millions d'euros pour l'assurance-maladie en 2015, beaucoup s'interrogent. Sur le bien-fondé des études ayant conduit à la décision d'Agnès Buzyn. Et notamment sur la neutralité des experts. "Il y a eu des dysfonctionnements majeurs", pointe le professeur Mathieu Ceccaldi, spécialiste de la maladie à l'hôpital marseillais de La Timone.
"Même si, scientifiquement, les aspects positifs des médicaments ne sont pas évidents à démontrer, l'effet symbolique peut être dévastateur pour les familles, souligne Valérie Cerase, gériatre et responsable de l'Institut de la maladie d'Alzheimer à Marseille. Les patients et leurs familles estiment que si on ne leur donne plus rien, c'est qu'il n'y a pas d'espoir et qu'on ne s'occupe plus d'eux."
La ministre a certes promis de réinjecter l'argent économisé dans des structures d'aides aux patients. Ce qui, là encore, est difficile à évaluer. Et montre, comme pour la crise des Ehpad, une tendance forte du gouvernement à réduire au maximum le fardeau financier public en diversifiant la prise en charge de la dépendance. Avec le risque, craint par beaucoup, d'une médecine à plusieurs vitesses, en fonction des moyens financiers des patients.
"Le discours de la ministre de la Santé est choquant"

Responsable du Centre expert régional Paca ouest, Mathieu Ceccaldi est professeur, chef du service "maladies d'Alzheimer et pathologies associées" à l'hôpital de la Timone à Marseille (AP-HM).
Quelle est la fonction des médicaments anti-Alzheimer désormais non remboursés ?
M.C. : Ces médicaments mis sur le marché il y a un peu plus de quinze ans n'ont pas d'effet sur le mécanisme de la maladie, mais sur ses symptômes. Des essais sont effectués sur des molécules pouvant agir sur les causes, mais à des stades très légers. Pour les patients sévèrement touchés par Alzheimer, il y a peu de recherche, la maladie étant trop avancée. Ce qui signifie qu'il n'y aura plus de médicaments disponibles gratuitement pour eux.
Cela signifie-t-il qu'on les abandonne ?
M.C. : C'est ce que pensent certaines familles. Mais les médecins sont là, ils les suivent. Pour comprendre comment on en est arrivé là, il faut savoir que la commission de transparence de la Haute autorité de santé (HAS) qui révise régulièrement le taux de remboursement des médicaments en fonction de plusieurs critères, avait diminué en 2011 ceux traitant Alzheimer à 15 %. Elle jugeait que le service rendu était faible. Mais les patients étant exonérés à 100 %, ils continuaient à ne pas payer. La HAS avait proposé de faire de ces médicaments une option thérapeutique, pas une obligation. Mais une nouvelle révision, fin 2016, a conclu au déremboursement. La ministre de l'époque, Marisol Touraine, avait décidé de surseoir au remboursement.
Ce qui semble logique...
M.C. : Oui, mais il y a deux points négatifs. Plusieurs sociétés savantes ont estimé que les avis des experts de l'AHS n'étaient pas neutres, orientés a priori vers le déremboursement. Il y a eu des dysfonctionnements majeurs. C'est pour cela que Marisol Touraine avait choisi de surseoir. Elle avait organisé une meilleure prise en charge des patients, un guide parcours qui vient de paraître et a conduit Agnès Buzyn à stopper le remboursement.
Que dit ce guide-parcours ?
M.C. : Il propose une série d'aides non médicamenteuses, plus humaines. C'est tout. C'est choquant de penser que cela pourrait remplacer les médicaments. Car aucune étude n'a été faite. On impose une étude scientifique pour dérembourser et rien pour dire que d'autres solutions sont viables. Ce qui est le plus choquant est le discours de la ministre de la Santé qui, sur une chaîne de télévision, a jugé ces médicaments "néfastes, nocifs et dangereux." Or, ce n'est écrit nulle part. Il y a juste des effets secondaires connus et maîtrisés. Les patients se demandent maintenant si on ne les a pas empoisonnés pendant des années. S'ils sont dangereux, pourquoi continuer à les prescrire ? C'est inacceptable.
La ministre dit vouloir utiliser l'argent des déremboursements pour le secteur médico-social...
M.C. : En 2015, ces médicaments coûtaient 90 millions d'euros à l'assurance-maladie. Si on rapporte aujourd'hui aux 400 000 patients qui ont besoin de ces aides, soit la moitié des personnes touchées, cela reviendrait à consacrer 200 euros par personne. C'est minuscule. Les professionnels vont donc continuer à faire leur travail auprès des patients, à prescrire les médicaments en fonction des nécessités. Mais il y aura ceux qui pourront se payer les médicaments et ceux qui ne pourront pas.
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