Méfiance, défiance, suspicion… Difficile de trouver le bon terme mais depuis l'apparition du coronavirus en Chine, certains comportements interrogent. « Nous avons des gens qui nous appellent parce qu'ils ont croisé quelqu'un d'origine asiatique dans la rue qui se mouchait », déplore par exemple le médecin urgentiste français Patrick Pelloux.
Pour Frédéric Le Marcis, professeur d'anthropologie à l'ENS (École normale supérieure) de Lyon et directeur de recherche à l'IRD (Institut de recherche pour le développement), le schéma ne fait que se répéter : à chaque épidémie son bouc émissaire. De la peste noire au Moyen-Âge jusqu'à Ebola aujourd'hui - son domaine de recherche -, il analyse pour Le Parisien les ressorts de ces amalgames infondés.
Avec cette nouvelle épidémie, la communauté chinoise, ou plus globalement asiatique, risque d'être stigmatisée. Est-ce quelque chose que vous craignez ?
Frédéric Le Marcis. C'est un risque et aussi, déjà, une réalité. D'un point de vue épidémiologique et géographique, il y a des amalgames à déconstruire : d'abord, la métropole de Wuhan n'est pas toute la Chine. Pourtant, les discours généralisant donnent l'impression que tous les Chinois sont susceptibles de transmettre le virus. C'est totalement faux, tant au regard de la répartition de l'épidémie en Chine aujourd'hui que du point de vue des modes de transmission et des outils de prévention.
Ce type de peur n'est pas nouveau et la façon dont les épidémies ont été perçues dans l'histoire révèle toujours les stéréotypes d'une époque à travers la mise à l'index de boucs émissaires. Déjà lors de l'épidémie de peste noire (1347-1352), les juifs ont été accusés de propager le mal et ont été massacrés. Lors de l'apparition du syndrome du sida, même processus. On a d'abord ciblé ce qu'on appelait les « 4 H », c'est-à-dire les Haïtiens, les homosexuels, les hémophiles et les héroïnomanes. À chaque épidémie, nos peurs contemporaines ressurgissent.
Quelles sont donc les peurs liées au coronavirus apparu en Chine ?
Cette crainte objective de l'infection au coronavirus interroge forcément les stéréotypes occidentaux sur l'Asie : crainte de la démographie chinoise, de l'emprise du sino-capitalisme sur l'économie mondiale, mais aussi mise à l'index de pratiques culinaires ou thérapeutiques. Dans l'imaginaire collectif, à la menace économique s'articule la menace sanitaire. Les marchés d'animaux et leurs modes d'alimentation seraient par essence responsables de la propagation de maladie. On avait déjà ce type de fantasmes autour du virus H1N1 (2009-2010).
VIDEO. Coronavirus en France : symptômes et prévention
En vous écoutant, on pense forcément à la une du Courrier picard « Alerte jaune » et à l'édito du journal titré « Le péril jaune ? » (la rédaction a présenté ses excuses le lendemain, NDLR).
On est dans une logique similaire. Cette notion de « péril jaune » a été utilisée dès le XIXe siècle par les Occidentaux et traduisait la peur de leur surpassement par les populations asiatiques. Le problème, c'est qu'on oublie un peu trop vite nos propres mœurs, et le fait qu'on mange par exemple en France des escargots. Ce qui choque de l'autre côté de la Manche, par exemple. Il faut distinguer les circuits de contamination et les clichés véhiculés autour de chaque communauté.
Vous étudiez particulièrement les répercussions du virus Ebola en Afrique de l'Ouest. Les réflexes sont-ils les mêmes dans cette région ?
Tout à fait. Dans la communauté internationale, on a pointé du doigt les populations vivant en zone forestière : leur promiscuité supposée avec les animaux sauvages expliquerait l'irruption d'un virus jusqu'ici inconnu en Guinée. Au fond, l'apparition du virus est pensée par les observateurs comme un indicateur de « non-civilisation ». À l'intérieur de la Guinée, la stigmatisation reposait sur des ressorts différents. Sur place, la majorité musulmane du pays mettait en cause les populations forestières animistes car elles consommaient de la viande de singe, dont on pensait alors qu'elle était un réservoir du virus. La psychose autour d'une épidémie fait toujours son lit des peurs contemporaines.
Si psychose collective il y a, peut-elle avoir des répercussions politiques et aboutir à la prise de mauvaises décisions ?
Bien sûr. Il y a cette envie systématique de mettre les pays en quarantaine et de les isoler totalement de leurs voisins. C'est ce qui s'est passé autour de la Guinée avec Ebola. Mais même l'Organisation mondiale de la santé déconseille de le faire. En gros, il ne s'agit pas d'ignorer les risques réels de contamination, mais d'y répondre en prenant garde de ne pas renforcer les stéréotypes.
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