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Dans l’intimité de la floraison - Sciences et Avenir

santehuahua.blogspot.com

Cet article est paru initialement dans le mensuel Sciences et Avenir n°880 daté juin 2020.

C'est la danse des sept voiles. Un par un, les secrets de la fleur se révèlent. Protéine après protéine, gène après gène, le mécanisme le plus étrange du monde végétal est en passe d'être décrit même si rien ne saurait totalement percer l'intimité de la rose. La dernière avancée scientifique date d'avril 2020 et a permis de comprendre comment les plantes ressentent la température extérieure pour enclencher leur floraison à bon escient. Cette réponse à la température ambiante tient en une minuscule protéine que le Laboratoire de physiologie cellulaire et végétale de Grenoble (CNRS/ CEA/Inrae/Université Grenoble Alpes) vient de découvrir. "La plante possède un assemblage de trois protéines - l'evening complex - qui donne le signal de la floraison en se détachant de l'ADN. Nous sommes parvenus à déterminer qu'une seule d'entre elles - nommée ELF3 - réagit à une modification de la température", expose Chloé Zubieta, chercheuse au CNRS, coauteure de l'étude.

Un processus encore largement méconnu

Cette découverte éclaire une étape clé d’un processus complexe et encore mal connu. Pour comprendre, il faut rappeler que la fleur est un organe sexuel. Le pollen produit par les étamines d’une plante atteint le sommet du pistil d’une autre (le stigmate) grâce au vent ou à un insecte pollinisateur. Un tube pollinique grandit alors à l’intérieur des carpelles pour aller féconder des ovules. Le pistil se transforme ensuite en fruit sec ou charnu contenant des graines pour la génération suivante. Au lieu de conserver les mêmes attributs toute la vie comme la grande majorité des animaux, les plantes en changent donc tous les ans. Le mécanisme est connu depuis fort longtemps. Et pour cause : tous les fruits et légumes que l’homme mange proviennent des plantes à fleurs ! Mais cela ne fait que trois décennies que les chercheurs comprennent un peu mieux comment elles se forment. Auparavant, il s’agissait plutôt d’intuitions.

Les observations de Goethe confirmées par la génétique

Charles Darwin s’est ainsi beaucoup interrogé, tant sur les origines évolutives des plantes à fleurs que sur leur surprenante coopération avec les insectes. "Mais c’est surtout le poète allemand Goethe - également botaniste - qui a émis l’hypothèse dès 1790 que tous les organes de la fleur sont de la même composition que la feuille ou la tige, note François Parcy, chercheur au Laboratoire de physiologie cellulaire et végétale de Grenoble (CNRS/ CEA). Or, cela n’a pu être prouvé que récemment avec l’aide de la génétique !" Goethe avait appuyé sa démonstration sur l’observation de fleurs "ratées", exhibant des étamines déformées, des pétales absents, voire des tiges continuant à pousser à travers la corolle. "Deux siècles plus tard, les généticiens ne procèdent pas autrement, s’amuse François Parcy. L’observation de plantes mutantes nous met sur la piste des gènes responsables des différentes étapes de la formation des fleurs." Le pétunia et la gueule-de-loup ont ainsi servi de "fleurs de laboratoire" avant d’être supplantées dans les années 1990 par Arabidopsis thalania dotée d’un petit génome et de seulement cinq chromosomes. La découverte du rôle de la "protéine de la température" (ELF3) s’inscrit donc dans une longue lignée d’investigations. En 1991, un article de Nature titré "La guerre des couronnes" avait décrit pour la première fois comment trois classes de gènes (A, B, C) commandaient la formation des sépales, des pétales, des étamines et des carpelles en forme de couronne. Puis en 2004, les chercheurs ont déterminé les gènes et protéines commandant l’initiation florale et compris l’importance de la longueur du jour : le cycle sur vingt-quatre heures de la protéine CONSTANS est mis en exergue. Celle-ci constitue une véritable horloge circadienne qui donne à la fleur l’heure et le moment de la saison, lui permettant de savoir si elle est dans une période de jour long ou court. Quand les jours allongent, les fleurs de printemps sortent, quand ils raccourcissent… c’est le moment du chrysanthème.

La fin de "l’abominable mystère"

Et si "l’abominable mystère" qui entoure l’apparition des fleurs sur Terre était enfin résolu ? Dans ses observations de plantes fossiles, Charles Darwin - à l’origine de cette expression - avait remarqué un gouffre temporel entre l’apparition des gymnospermes (la famille des conifères) voilà 300 millions d’années et celle des premières plantes à fleurs (les angiospermes) il y a 100 millions d’années. Aucun fossile ne permettant de relier les uns aux autres. Les fleurs étaient-elles arrivées sur Terre spontanément, au mépris des lois de l’évolution ? Comment trouver une filiation entre des plantes protégeant leurs graines dans des cônes écaillés, comme les pommes de pin, et l’ordonnancement en couronne des fleurs ? Un premier travail mené en 2017 par l’Inrae et l’université de Clermont-Ferrand a comparé les génomes des différentes plantes à fleurs séquencées pour y retrouver les gènes communs et calculer leur antériorité. Résultat : l’ancêtre commun des plantes à fleurs a émergé il y a… 214 millions d’années. Le fossé est donc moins grand que ce que pensait Darwin. Mais le décryptage de génomes de conifères comme le sapin blanc en 2019 (15 fois plus importants que le génome humain) a révélé des gènes ressemblant à celui qui constitue "l’architecte" des fleurs. "Il semble donc que les plantes sans fleurs avaient déjà les outils et les compétences pour bâtir la fleur, assure François Parcy, chercheur au laboratoire de physiologie cellulaire et végétale de Grenoble (CNRS/CEA). Il a fallu un patient travail de sélection naturelle pour que celle-ci émerge." Il reste à consolider cette piste et dresser le portrait de l’ancêtre commun des plantes à cônes et des plantes à fleurs.

Le combat de l’architecte et du gardien de la tige

Mais les scientifiques n’étaient pas au bout de leur surprise ! Ils décryptent le long combat que se livrent "l’architecte" et le "gardien de la tige". Le premier, composé des protéines LEAFY, ordonne l’emplacement des différents organes de la fleur sous l’effet d’une autre protéine puissante, le florigène ; le second, appelé Terminal Flower 1 (TF1), est une protéine qui empêche justement la floraison. C’est là qu’intervient l’arbitre de l’affrontement, ELF3. En décrochant l’evening complex de l’ADN grâce à sa sensibilité à la température, ELF3 inhibe le gardien de la tige laissant ainsi libre cours à la construction de la fleur. Il est le garant de l’adéquation entre la floraison et le climat. Toutes les fleurs vivent ce combat intime… à l’exception d’une : le chou-fleur !

Ces connaissances accumulées permettent de progresser. D’autant que la fleur n’est pas seulement à l’origine des récoltes : elle soutient une industrie. En 2000, Mohamed Bendahmane, chercheur de l’École normale supérieure au laboratoire Reproduction et développement des plantes (Inra-CNRS-Lyon-I), s’intéresse à la formation des pétales, un sujet essentiel pour les fleurs coupées en général, et pour la rose en particulier qui représente 60 % d’un marché qui pèse 3 milliards d’euros en France. En 2018, la publication du génome de la rose à laquelle il a contribué permet de revisiter plusieurs millénaires de domestication de cette fleur. "La rose d’aujourd’hui est un hybride qui combine la vigueur des espèces européennes avec la floraison plus abondante des variétés chinoises. Dans la nature, elle a cinq pétales… alors que les plus sophistiquées de nos variétés cultivées en ont 250 !", s’exclame Mohamed Bendahmane, qui ne fait pas mystère des sollicitations des horticulteurs pour créer des variétés qui tiennent plus longtemps dans le vase avec moins d’eau. La recherche fondamentale sur la floraison n’est donc jamais très loin de l’application industrielle. Zoë Zubieta rêve ainsi d’un grand destin pour son ELF3. "Cette découverte ouvre la voie à l’utilisation des nouvelles techniques d’édition génétique - telle CRISPR-Cas9 - qui nous permettraient de modifier l’activité d’evening complex et de déclencher ou retarder la floraison dans l’intérêt des agriculteurs", ambitionne la chercheuse. Tout en sachant que si ELF3 a un rôle central, il n’est pas le seul à jouer le thermomètre. "Chez la très simple arabette des dames, une centaine de protéines au moins jouent un rôle dans la floraison… nous sommes donc loin d’avoir tout compris", rappelle François Parcy. Les fleurs vont garder encore longtemps une part de mystère.

Couleurs et parfums sont liés

Pour attirer les pollinisateurs, les fleurs déploient couleurs et parfums. Leur palette ne comprend que trois pigments qui couvrent cependant un large spectre, à l’exclusion du bleu obtenu par effet d’optique. Les anthocyanes produisent du violet, du jaune et du rouge ; les flavonols d’autres variations de jaune ; les caroténoïdes les oranges. "Ce qui est surprenant, c’est qu’un parfum est toujours associé à une couleur. Malgré tous nos efforts, nous n’avons jamais réussi à casser l’une de ces associations", s’extasie Mohamed Bendahmane, chercheur à l’École normale supérieure, laboratoire reproduction et développement des plantes (ENS Lyon Inra-Inria-CNRS-université Lyon-I).




July 12, 2020 at 10:00PM
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