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Vaccination des jeunes Français contre le HPV: un fiasco hélas prévisible - Slate.fr

Seuls 10% des élèves de cinquième ont été vaccinés cet automne.

Vaccination au collège Jean-Moulin du Bouscat (Gironde), le 5 octobre 2023. | Philippe Lopez / AFP
Vaccination au collège Jean-Moulin du Bouscat (Gironde), le 5 octobre 2023. | Philippe Lopez / AFP

Temps de lecture: 7 minutes

«Vacciner de manière systématique à l'école permettrait d'élargir la vaccination et donc d'augmenter la couverture vaccinale en France. En créant une émulation de groupe, les parents potentiellement inquiets pourraient être rassurés et cela permettrait également de toucher les enfants dont les parents ne sont pas suffisamment informés.»

Il y a tout juste un an, dans un article sur l'importance de la vaccination contre les infections à papillomavirus humains (HPV) chez les jeunes, je citais ainsi la Dre Hélène Pere, virologue à l'hôpital européen Georges-Pompidou (AP-HP). Pour elle, à l'époque, instaurer la vaccination dans les établissements scolaires constituait un moyen efficace de mieux toucher les jeunes à l'âge où le vaccin, dont les bénéfices et l'innocuité ne sont plus à démontrer, est le plus efficace.

Une idée partagée par la Société française de colposcopie et de pathologie cervico-vaginale (SFCPCV), dont le message est aujourd'hui encore le suivant: «Le principal frein identifié à la vaccination anti-HPV est la difficulté d'atteindre la population cible des 11-14 ans qui ne vont plus chez le pédiatre et vont rarement consulter un médecin généraliste. Proposer cette vaccination en milieu scolaire est un excellent moyen d'offrir cette chance à nos plus jeunes tel que cela a déjà été fait avec efficacité dans de nombreux autres pays.»

Hasard du calendrier, le jour même où mon article était publié, Emmanuel Macron annonçait la mise en place d'une campagne de vaccination généralisée, non obligatoire et gratuite, dans les classes de cinquième des collèges publics et privés sous contrat volontaires à la rentrée 2023.

La France reste une mauvaise élève de la vaccination contre le HPV

Courant septembre 2023, les parents (ou représentants légaux) des élèves concernés ont normalement reçu un courrier et un dépliant d'information au sujet des infections HPV et de la vaccination, leur expliquant la démarche de la campagne vaccinale, ainsi qu'un formulaire d'autorisation parentale et une enveloppe pour le retour de cette autorisation. «Normalement», car plusieurs parents avec lesquels j'ai échangé pour cet article n'ont rien vu passer…

La campagne en elle-même a donc débuté en octobre 2023, et son premier bilan est loin d'être satisfaisant. En effet, la Direction générale de la santé a déclaré à l'Agence France-Presse que «selon des remontées parcellaires des agences régionales de santé, au moins 92.262 élèves ont été vaccinés dans les collèges au 23 décembre 2023» –ce qui équivaut à un taux de vaccination des élèves de cinquième autour de 10%.

«Tout a été mis en place très rapidement, sinon dans la précipitation, et les collèges se sont retrouvés démunis.»
Aurélie Gauchet, enseignante en psychologie de la santé

Pas vraiment de quoi rattraper le gros retard pris par la France par rapport aux autres pays européens, qui la place en vingt-huitième position sur le plan de la couverture vaccinale juste devant le Kazakhstan (15%), l'Arménie (8,8%) et la Bulgarie (4%), et loin derrière la Belgique (91%), le Portugal (90%), la Norvège (88%), la Suède (84%), l'Angleterre (84%) et l'Espagne (80%).

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Manque de préparation et lourdeur administrative

S'il ne fait aucun doute que la vaccination contre le HPV au sein des établissements scolaires reste un levier majeur pour atteindre l'objectif d'une couverture de 80% (laquelle permet une diminution drastique du nombre de lésions précancéreuses et de cancers causés par les papillomavirus), force est de reconnaître que toutes les conditions ne sont pas réunies.

La Pre Aurélie Gauchet, enseignante en psychologie de la santé à l'université Savoie Mont Blanc et spécialiste des freins, attitudes et comportements vis-à-vis des vaccins contre le HPV, explique ne pas être particulièrement surprise par ce premier bilan: «Nous nous en doutions. Tout a été mis en place très rapidement, sinon dans la précipitation, et les collèges se sont retrouvés démunis.»

Ayant elle-même travaillé sur la nécessité d'informer pleinement les parents, elle déplore «l'absence de phase de sensibilisation et d'éducation à la vaccination, que ce soit auprès des parents ou auprès des jeunes». Pour elle qui a pu, par ses travaux, mesurer l'impact d'un véritable accompagnement, «il faudrait deux séances de deux heures en début d'année» pour bien faire les choses –et non pas un simple dépliant.

«J'ai demandé à ma médecin traitante, j'ai cherché des informations sur le site de l'assurance maladie et sur celui du ministère de la Santé. Si je m'estime bien informé, c'est parce que je suis allé chercher l'info», témoigne Thibault, dont l'enfant est au collège. Du côté des jeunes, aucun dispositif spécifique d'information autour du HPV n'a été prévu au niveau institutionnel, alors qu'il existe des outils pédagogiques –dont un «serious game»– issus du travail de huit équipes de recherche, spécialisées en sciences humaines et sociales, en épidémiologie, en biostatistiques et en médecine générale.

Chaque année en France, près de 3.000 femmes développent un cancer du col de l'utérus et 1.000 femmes en meurent.

De son côté, le Pr Geoffroy Canlorbe, chirurgien en gynécologie à la Pitié Salpêtrière et secrétaire général de la SFCPCV, regrette «la lourdeur administrative» qui a présidé cette campagne: «Le fait que les deux parents doivent signer en amont un formulaire n'a pas simplifié les choses.» Ainsi, pour lui, il faut simplifier les démarches administratives et il serait préférable que la vaccination se fasse par défaut –à charge pour les parents qui y sont opposés de se manifester. Geoffroy Canlorbe déplore aussi le manque de professionnels de santé autorisés à vacciner au sein des établissements scolaires: «Si le jeune est absent le jour J ou s'il a oublié son carnet de santé, il loupe le coche.»

À ces explications, il faut aussi ajouter le décès d'un jeune homme par traumatisme crânien des suites d'un malaise vagal après avoir reçu le vaccin. Un accident dramatique qui, s'il n'a rien à voir avec le vaccin contre le HPV en tant que tel, a pu, par des raccourcis malheureux, nuire à la confiance. «Beaucoup de jeunes, et notamment les garçons, font des malaises après une prise de sang ou un vaccin», précise Geoffroy Canlorbe, qui ajoute: «C'est pour cela qu'il est recommandé de les garder assis et de les surveiller pendant 5 à 10 minutes après l'injection, ce qui n'a sans doute pas été fait.»

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Ce constat d'un premier rendez-vous manqué étant fait, comment pourrait-on améliorer les prochaines campagnes? Le jeu en vaut en effet la chandelle puisque chaque année en France, près de 3.000 femmes développent un cancer du col de l'utérus et que 1.000 femmes en meurent. En outre, on déplore également, tous sexes confondus, près de 1.500 cancers de l'anus et 1.550 cancers de la sphère ORL causés par les HPV, sans compter les condylomes (verrues génitales), bénins mais pénibles.

Informer plus et mieux

On l'a dit: un accompagnement et une éducation à la vaccination, tant auprès des parents que des enfants, sont absolument nécessaires et demandent du temps et de véritables séances en présentiel. Pour bien faire les choses, sans doute faut-il en premier lieu identifier les besoins en matière d'information et les freins à la vaccination.

Ces derniers semblent avoir quelque peu changé au cours des derniers temps, comme le signale Aurélie Gauchet: «La crainte des effets indésirables s'est un peu estompée au fil du temps. Restent, en revanche, des réticences plus culturelles et relatives à la sexualité, et des a priori liés au genre.» En effet, forcément, les HPV se transmettant lors des relations sexuelles, le partage d'informations peut se faire avec une certaine gêne, voire, selon les familles, ne pas se faire du tout.

«C'est sûr que la vaccination contre le HPV n'a jamais fait la une.»
Geoffroy Canlorbe, chirurgien en gynécologie

«Je n'ai rien contre la vaccination en soi, mais je trouve que c'est un peu prématuré pour mon fils de 11 ans. Je préférais qu'il décide lui-même à 18 ans», m'expliquait Lucie lorsque j'ai lancé un appel à témoignages sur le sujet –alors même que l'on sait que le vaccin est plus efficace s'il est réalisé avant 17 ans, vie sexuelle débutée ou non. Il est donc essentiel de préciser les bénéfices d'une vaccination précoce.

Afin de décorreler franchement vaccin HPV et entrée dans la vie sexuelle, Geoffroy Canlorbe suggère de le proposer à partir de 9 ans: «Cela éviterait peut-être aux parents d'avoir l'impression de dire à leurs ados “Maintenant que tu es vacciné, tu peux commencer ta vie sexuelle.”» Mais cela pourrait toutefois poser plus de problèmes pour ce qui est d'informer les jeunes qui sont, eux aussi, partie prenante de la décision: «Quand les jeunes sont captifs, cela a un effet ricochet sur les parents, et les désaccords entre parents et enfants sont assez marginaux», signale Aurélie Gauchet.

Geoffroy Canlorbe regrette aussi que la communication autour de la vaccination soit «très académique, pas assez punchy», ce qui ne facilite pas la démocratisation de l'information. Il aimerait notamment que des influenceurs puissent porter le message, notamment chez les ados, et que les médias s'emparent davantage de cette thématique pour la vulgariser efficacement. «C'est sûr que la vaccination contre le HPV n'a jamais fait la une», regrette-t-il.

Il semble aussi crucial d'apporter du concret: «Je suis pleinement favorable à ce que ma fille se fasse vacciner le moment venu car j'ai moi-même eu des soucis liés au HPV et je ne lui souhaite pas», m'a glissé Alexis, père d'une enfant de 6 ans. C'est peut-être aussi cela qui manque dans le message: la réalité des personnes qui vivent avec des lésions ou un cancer causés par le HPV. On est plus à même d'être volontaire pour se battre contre un fléau quand on connaît les dommages qu'il peut occasionner.

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Aurélie Gauchet invite aussi à ne pas oublier que les jeunes, qui ont parfois du mal à faire la balance entre gêne immédiate et importants bénéfices à long terme, peuvent être freinés par la peur de la piqûre. Il faut donc ne pas prendre cette crainte à la légère et être en capacité de les rassurer.

Enfin, il semble que de nombreuses initiatives de promotion de la vaccination, menées tantôt par des associations, tantôt par des sociétés savantes et des institutions publiques, coexistent… mais qu'elles ne communiquent pas entre elles, alors même qu'unir leurs forces (et les budgets qu'elles consacrent à la communication) pourrait être plus qu'utile.

Alléger la part administrative de la vaccination dans le milieu scolaire, informer davantage et mieux auprès des parents et des enfants, lever les tabous sur un vaccin très corrélé à la sexualité et mutualiser le partage d'informations: autant de moyens d'élargir la couverture contre le HPV.

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