Tribune. A la demande de l’Agence nationale de sécurité des médicaments (ANSM), Merck a procédé à la modification du Levothyrox pour en améliorer</a> la stabilité. Selon les conclusions des études de bioéquivalence, « aucun changement du profil de tolérance n’était attendu ». Néanmoins, après être</a> passés à la nouvelle formule fin mars, des patients ont souffert de symptômes invalidants traduisant un déséquilibre thyroïdien.
Ces incidents n’ont, dans un premier temps, perturbé ni les autorités ni la firme pharmaceutique, admettant tout au plus que la posologie devait être ajustée pour certains d’entre eux. Le 27 septembre, l’ANSM a finalement publié un nouveau point d’information annonçant le retour temporaire de l’ancienne formule (commercialisée en Europe sous le nom d’Euthyrox) et la mise à disposition d’un autre médicament, le L-Thyroxin Henning (laboratoire Sanofi).
Cependant, la fréquence des incidents rapportés interpelle sur la bioéquivalence entre les deux formules. Les essais de bioéquivalence réalisés par Merck se basent sur une méthodologie communément appliquée par la Food and Drug Administration (FDA) qui préconise de tester</a> le nouveau médicament sur des volontaires sains, en leur administrant une dose élevée (600 µg) de principe actif.
Mais la marge thérapeutique étroite de la lévothyroxine implique que des variations mineures dans le dosage administré et les concentrations sanguines obtenues peuvent produire des écarts cliniques importants. C’est aussi une hormone endogène sécrétée chez les sujets ayant une thyroïde saine : les essais de bioéquivalence sur des sujets sains peuvent en ce sens être controversés.
La société américaine d’endocrinologie a publié en 2008 une position très ferme où elle encourage la FDA à appliquer</a> des méthodes d’évaluation de l’équivalence thérapeutique pour la lévothyroxine chez des sujets ne produisant pas d’hormones endogènes (ayant subi une ablation totale de la thyroïde). En attendant un changement de protocole, cette société savante demande à la FDA de ne pas conclure</a> à la bioéquivalence de deux produits qui auraient été testés selon la méthode d’évaluation actuelle.
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En France, on note dès 2010 une mise en garde dans le répertoire des génériques pour le Levothyrox. Une enquête menée entre 2009 et 2011 met en évidence des cas de déséquilibre thyroïdien lors de la substitution par un générique, mais également avec le médicament de référence en dehors de toute substitution. L’ANSM est donc bien consciente que la marge thérapeutique étroite de la lévothyroxine et son caractère d’hormone endogène font de ce produit un cas particulier, pour lequel tout changement de traitement doit être envisagé avec beaucoup de soin. Pour résumer : on doit généralement se garder</a> de conclure à la bioéquivalence entre deux substituts de lévothyroxine.
Le Levothyrox est pourtant un médicament sûr. Quelques voix timides rapportent qu’elles se sentent mieux avec cette nouvelle formule. Mais pour d’autres, il faut reprendre</a> à zéro le lent cheminement vers l’équilibre thyroïdien, avec de nombreux ajustements de dosage, beaucoup de patience et souvent incompréhension et colère, puisque ce nouveau médicament ne devait engendrer</a> aucun changement pour les patients selon les autorités sanitaires.
L’absence d’information conduit aussi à des coûts indirects (consultations spécialisées, examens complémentaires), patients et médecins traitants ne faisant pas toujours le lien entre les symptômes observés et le changement de formulation.
Défi méthodologique et éthique
Cette crise pouvait-elle être évitée ? Tout d’abord, ayant une parfaite connaissance du monopole de Merck, l’ANSM, constatant les inconvénients de l’ancienne formule, aurait pu, dès 2012, diversifier</a> l’offre de médicaments sur le marché français au lieu de demander au fabricant, unique fournisseur de lévothyroxine en France, de modifier</a> sa formule. Une telle décision n’a fait que renforcer le monopole de Merck, et l’agence devrait déjà avoir à répondre de ce premier choix.
Par ailleurs, les études de bioéquivalence sur des sujets sans thyroïde présentent bien un défi méthodologique et éthique. Mais l’ANSM aurait pu considérer</a> que c’était un réquisit alors que 3 millions de personnes sont sous traitement en France.
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Il lui suffisait de tenir</a> compte des mises en garde de la Commission nationale de pharmacovigilance mais aussi de s’aventurer hors des frontières de l’Hexagone, en Belgique par exemple, où la société Takeda n’a pas hésité à réaliser</a> des études de ce type lors du changement de formulation de son propre produit. Au minimum, l’ANSM aurait dû tirer</a> des conclusions prudentes des études de bioéquivalence présentées par Merck et appliquer ce principe de précaution à l’information diffusée aux patients et aux praticiens.
Enfin, sachant que la recherche de l’équilibre thyroïdien engendre des coûts non négligeables, l’ANSM aurait dû commanditer</a> une étude pharmaco-économique. En ne le faisant pas, l’ANSM a non seulement pris en otage 3 millions d’usagers dont la santé et la survie dépendent d’un médicament, mais elle a mis à l’épreuve le système de santé dans son ensemble.
http://www.lemonde.fr/sciences/article/2017/10/10/la-defaillance-des-tests-de-bioequivalence-une-des-causes-de-la-crise-du-levothyrox_5198658_1650684.htmlBagikan Berita Ini
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