Matthieu Lorin exerce au pôle médical de Villaines-la-Juhel (Mayenne) depuis la fin de ses études. Ce généraliste engagé et dévoué a tout donné en cinq ans. Des journées de quinze heures, quarante patients par jour… L’homme est aujourd’hui usé, s’est séparé et se sent isolé. Alors, il partira dans six mois et cherche un successeur.
Il est 12 h 30. La voiture familiale du Dr Matthieu Lorin, 33 ans, file vers un village du nord-est de la Mayenne. Look branché, le stéthoscope dans une main, une sacoche dans l’autre, le toubib prend sur sa pause déjeuner pour enchaîner quelques visites à domicile. Beaucoup de ses confrères ont arrêté ça. Lui continue. Il stoppe dans un petit lotissement, pose son sandwich entamé sur l’accoudoir et file vers le portail.
Une vieille dame l’attend, assise dans le fauteuil du salon. Matthieu jette un œil au contenu du frigo, vérifie si sa patiente a toujours la notion du temps. Il appelle sa fille pour avoir « du ressenti » sur le quotidien de sa mère. Sous le regard des petits-enfants dont les photos sont accrochées aux murs, il écoute, taquine, durcit le ton si nécessaire pour faire accepter un traitement. Il prend le temps. Un luxe aujourd’hui.
La Mayenne est le troisième désert médical de France avec 170 médecins environ pour 100 000 habitants. Alors que la moyenne française se situe autour de 280. Laval, le chef-lieu, a perdu une dizaine de praticiens ces trois dernières années. Matthieu Lorin soupire : « Nous sommes des dinosaures en voie d’extinction, les derniers à tenter de maintenir une façon d’être qui n’est plus réaliste. »
Retour à la voiture. Déjà 14 h, annonce la radio. Pas franchement la mi-journée pour le Dr Lorin. Il appelle l’hôpital de Laval pour confirmer sa permanence du soir au Samu. L’une des dernières. En septembre, il quittera le pôle médical intercommunal de Villaines-la-Juhel, non loin de l’Orne et de la Sarthe, qui l’a accueilli il y a cinq ans et demi à sa sortie de la faculté de médecine de Nantes. « Le projet médical de Villaines-la-Juhel était le plus abouti et le plus rassurant pour le débutant que j’étais. Mon épouse avait sa famille dans la région. Du coup, c’était parfait. »
Sauf que quelques années après, le couple se sépare. Le jeune médecin a beau être investi auprès de sa patientèle - des journées de quinze heures, une quarantaine de patients quotidiens -, il n’a plus vraiment de raison de rester dans le Nord-Mayenne.
L’isolement : voilà l’un des moteurs de la désertification médicale. Le conseil départemental de la Mayenne va jusqu’à « draguer » les internes dans les villes universitaires. Mais la récolte est encore maigre. « Il faut être né en campagne pour avoir envie d’y vivre, surtout lorsqu’on a moins de 30 ans. Une grande majorité des étudiants en médecine sont originaires des villes. Il est logique qu’ils s’y installent une fois diplômés », témoigne Matthieu Lorin.
« Vous nous quittez vraiment, docteur ? »
Il y a dix ans, il y avait six médecins à Villaines-la-Juhel. Ils ne sont plus que trois, et bientôt plus que deux titulaires. Matthieu Lorin n’a trouvé personne pour lui succéder. Il faudra se contenter de médecins remplaçants, au gré de contrats aléatoires. Avec au moins 1 300 patients par médecin, les limites du pôle et des hommes sont atteintes.
Retour, justement, dans les locaux baignés de lumière. La sonnerie du téléphone retentit. « Maison médicale, bonjour ! » chante la voix joviale d’Annick Lebreton, l’une des deux secrétaires. « Oh ! Je suis désolée mais nous ne prenons plus de nouveau patient, nos médecins en ont déjà trop. » C’est toujours avec regret qu’elle répète cette formule plusieurs fois par jour. Peinée, elle comprend toutefois la décision du docteur Lorin : « Ce n’est pas facile pour les conjoints des médecins de trouver un emploi dans nos campagnes. Et c’est encore moins facile pour les médecins célibataires d’y trouver un conjoint. »
La petite salle d’attente est pleine. Seule la toux, un peu grasse, d’une patiente perturbe le silence convenu des lieux. C’est sobre et élégant. Mais la conversation du docteur avec son patient filtre à travers le mur. Et ce téléphone qui n’arrête pas de sonner. « Désert médical ». L’expression, entrée dans le langage courant, parle à cette Parisienne venue profiter de sa retraite en Mayenne. Le moindre spécialiste se trouve à 25 km de chez elle. Le départ du Dr Lorin l’inquiète car le seul généraliste susceptible de prendre de nouveaux patients est installé, lui aussi, à une vingtaine de kilomètres de là.
Matthieu Lorin a tissé un lien particulier avec ses patients qui lui permet de faire son métier comme il le veut. C’est sans doute pour ça que tous ceux qui passent ce jour-là dans le cabinet interrogent : « Vous nous quittez vraiment, docteur ? » Le regard du généraliste se trouble, s’assombrit, mais la réponse est invariable. « Je ne le fais pas de gaieté de cœur, vous savez ! »
Il a tout envisagé. Désormais il assume. Il ne veut plus vivre seulement pour les autres.
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