Si l'amygdline contenue dans les amandes de noyau d'abricot n'a pas d'effet prouvé sur le cancer, elle est en revanche toxique à haute dose en raison du produit de sa métabolisation : le cyanure. L'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation (Anses) et son homologue européenne l'ENSA rapportent ainsi 154 cas d'intoxication suite à des consommations importantes de ces amandes. Elles rappellent qu'elles ne sont inoffensives qu'à faible dose.
L'amygdaline est une substance naturelle retrouvée dans les amandes de noyau d'abricot (graine qui se trouve à l'intérieur du noyau d'abricot), pêches, prunes et autres fruits à noyau. Elle a été isolée dans les années 1950 par le scientifique Ernst Krebs. Une fois ingérée, l'amygdaline est transformée par l'enzyme (protéine réalisant une réaction chimique) béta-glucosidase puis devient, suite à l'action des bactéries intestinales, du cyanure. Or, le cyanure bloque un composant important de la chaîne respiratoire des cellules, c’est-à-dire l'ensemble des réactions chimiques qui lui permettent de fabriquer l'énergie dont elle a besoin pour fonctionner. Il en résulte une "suffocation" des cellules. Ainsi, "l'intoxication au cyanure peut provoquer des symptômes tels que nausées, fièvre, maux de tête, insomnie, soif, léthargie, nervosité, douleurs articulaires et musculaires ou encore chute de tension artérielle", avertit l'EFSA, selon qui, "dans les cas extrêmes, le pronostic vital peut être engagé". Cette substance peut être "détoxifiée" naturellement par l'organisme par une enzyme nommée rhodanase, mais seulement pour de très petites quantités représentant environ 2 ou 3 amandes de noyau d'abricot pour un adulte.
Aucune preuve de l'efficacité de l'amygdaline contre le cancer, mais une toxicité avérée
Selon l'Agence de Santé allemande, la BfArM, dont l'expertise est une référence au niveau européen, deux théories circulent au sujet pour expliquer l'efficacité prêtée à l'amygdaline sur le cancer.
THEORIE 1 : SENSIBILITE DES CELLULES CANCEREUSES. La première voudrait que les cellules cancéreuses possèdent plus de béta-glucosidase et moins de rhodanase que les cellules saines. Elles convertiraient donc plus l'amygdaline en cyanure toxique dont elles seraient moins à même de se débarrasser, ce qui permettrait un effet "sélectif" de la toxicité de l'amygdaline. "Cette thèse a déjà été réfutée dans les années 1980 par des mesures de la teneur en β-glucosidase, en β-glucuronidase et en rhodanase dans des tissus sains et tumoraux", explique l'Agence. Ces concentrations mesurées "ne différaient pas significativement entre les cellules saines et les cellules tumorales", rejoignant les résultats "d'études réalisées par le National Cancer Institute (NCI) aux États-Unis".
THEORIE 2 : MALADIE METABOLIQUE. Selon la seconde théorie, le cancer serait une "maladie métabolique" due à un manque de vitamines, et en particulier de vitamine B17… Un ancien nom donné à l'amygdaline. Nom trompeur, d'ailleurs, puisque l'amygdaline n'est en réalité "pas une vitamine", explique l'EFSA. De plus, l'amygdaline n'est pas essentielle au fonctionnement du corps humain, rappelle la BfArM.
Dans les années 80, une étude américaine teste l'amygdaline sur 175 patients atteints de cancer, en plus d'un régime sain et de suppléments vitaminiques. Un tiers d'entre eux n'avaient encore jamais reçu aucune chimiothérapie. La dose administrée quotidiennement est alors de 4,5 grammes d'amygdaline par mètre carré de surface corporelle, soit environ 7,7 grammes par jour, une dose conforme aux pratiques de l'époque. Le résultat est catastrophique, puisqu'un seul patient semble répondre "partiellement et transitoirement" au traitement avant de finalement décéder, tandis que 158 patients décèdent dans les 4,8 mois, un délai correspondant à celui des malades non traités. "L'amygdaline est une substance toxique qui n'est pas efficace pour traiter le cancer", concluent les auteurs de l'étude, publiée dans la prestigieuse revue New England Journal of Medicine. Peu après, la FDA (agence du médicament aux Etats-Unis) interdit l'amygdaline.
On peut objecter aujourd'hui que l'on sait que l'amygdaline devient toxique entre 40 et 280 milligrammes (0,5 à 3,5 mg par kilogramme, rapporté à un poids moyen de 80 kg). La dose administrée en 1980 est donc très haute. Pourtant aujourd'hui, côté études, seules certaines datant de 2003 à 2006 suggèrent un effet anti-cancer de l'amygdaline, mais seulement in vitro, c’est-à-dire en laboratoire et non dans un organisme vivant, rapporte la prestigieuse revue Cochrane. Mais sur des êtres vivants, aucune publication de qualité n'a pu être analysée, déplorent les auteurs, qui concluent que "l'amygdaline ne profite pas aux patients atteints d'un cancer avancé, et il n'y a aucune raison de croire qu'il serait plus efficace dans les premiers stades de la maladie", alors que sa toxicité est avérée.
Pas plus de 1 à 3 amandes par jour pour les adultes, une demie pour les enfants
Malgré tous ces travaux, l'amygdaline continue à être vendue sur internet et "sont de plus en plus consommées comme remède naturel pour de prétendues propriétés 'anti-cancer'", s'inquiète l'Anses. "Il n'existe aucune preuve scientifique" laissant penser que ce fruit à coque prévient ou guérit la maladie, a-t-elle souligné. Pourtant, il "suscite un engouement que l'on mesure sur internet où des sites encouragent leur consommation en grande quantité, pouvant aller de 10 amandes par jour en prévention à 60 amandes pour les personnes atteintes d'un cancer", a déploré l'Agence. Elle fait ainsi état dans un rapport de 154 cas d'intoxication entre janvier 2012 et octobre 2017. Deux d'entre eux illustrent particulièrement le danger : une femme de 54 ans qui, "après avoir consommé 50 amandes en une journée", a été hospitalisée en hypotension, et un homme de 87 ans qui en avait mangé 40, et qui a fait "un malaise cardiaque". Dans les autres cas ont été rapportés de nombreux symptômes : vertiges, sensation de malaise, maux de tête, troubles digestifs, palpitations, gêne respiratoire.
L'Agence conseille ainsi de ne pas consommer plus de 1 à 3 amandes pour les adultes et la moitié d’une petite amande pour les jeunes enfants. Mais que les amateurs se rassurent : "la consommation de ces amandes dans un but d'agrément alimentaire reste possible", tant qu'on est raisonnable. De plus, la consommation normale d'abricots ne pose pas de risque pour la santé des consommateurs, puisque l'amande se trouve à l'intérieur du noyau d'abricot et, par conséquent, n’entre pas en contact avec le fruit lui-même.
Avec AFP.
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