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Sciences Les premiers bébés génétiquement modifiés pourraient mourir précocement - National Geographic

« Certains pensent peut-être qu'une mutation entraîne un seul effet. En réalité, une mutation peut très bien avoir plusieurs effets différents, » indique le coauteur de l'étude Rasmus Nielsen, biologiste à l'université de Californie.

« Quand on parle de génie génétique chez l'Homme, il y a énormément de facteurs à prendre en compte, notamment la difficulté de prévision des conséquences. En effet, une mutation bénéfique dans un contexte donné pourrait s'avérer néfaste dans un autre contexte, » poursuit-il.

DES RISQUES ACCRUS

Dans son communiqué de 2018, Jiankui He avait expliqué que son objectif était de conférer une résistance au virus du SIDA. Pour cela, il avait introduit une mutation du gène CCR5, un acteur influent dans le fonctionnement du système immunitaire qui code par un récepteur situé à l'extérieur des cellules immunitaires. L'un des variants les plus étudiés de CCR5 est la mutation ∆32 (delta 32), une version plus courte et, pour simplifier, dysfonctionnelle. Cette anomalie procure une protection contre le VIH étant donné que le virus infecte les cellules immunitaires en s'accrochant aux protéines codées par le gène CCR5 lorsqu'il est fonctionnel.

Cependant, les traitements contre le VIH ont grandement progressé et de nombreux experts soutenaient à l'époque que la procédure envisagée par Jiankui He était médicalement superflue. De plus, d'autres agents pathogènes prospèrent lorsque CCR5 est dysfonctionnel, donnant naissance à d'autres facteurs de risques. Par exemple, une étude parue en 2015 montrait que la présence d'une ou deux copies de CCR5-∆32 multipliait quasiment par quatre les risques de décès des suites de la grippe.

Bien que les mutations introduites par Jiankui He ne soient pas tout à fait identiques au variant ∆32, il semblerait que les gènes CCR5 des bébés connaissent le même type de dysfonctionnement. Afin d'en apprendre plus sur les conséquences pour ces nouveaux-nés, Nielsen et le chercheur postdoctoral Xinzhu Wei ont passé au peigne fin près de 410 000 génomes de la UK Biobank, une banque d'ADN recueilli chez des volontaires, à la recherche du sort réservé aux personnes possédant naturellement deux copies de CCR5-∆32.

Afin de compenser le biais induit par l'échantillonnage, Wei et Nielsen ont comparé entre-eux mille sous-ensembles de données générés de façon aléatoire. Ils ont alors découvert qu'en général, le fait d'avoir deux copies de CCR5-∆32 augmentait le risque pour un individu de mourir avant ses 76 ans de 3 à 46 %, avec une moyenne de 21 %.

Wei et Nielsen insistent sur l'importance de ne pas sur-interpréter leur travail, en partie parce que les bases actuelles de données génétiques sont géographiquement corrompues. Leurs recherches ont été menées sur les génomes de volontaires Britanniques et non Chinois. Des biais similaires avaient entravé les recherches utilisées par Jiankui He lorsqu'il avec tenté de justifier la modification de l'ADN des bébés. En effet, les études antérieures avaient démontré les effets protecteurs de CCR5-∆32 contre le VIH pour les populations européennes et non celles de l'est asiatique.

« Je voudrais être très clair sur ce point : l'effet des mutations dépend du bagage et des environnements génétiques et nous n'avons aucune information qui nous permettrait de spéculer quant aux effets sur les Asiatiques de l'Est, » précise par e-mail Wei, auteur principal de l'étude.

DES EFFETS LONG TERME

Ces nouvelles découvertes ne manqueront pas d'attirer à nouveau l'attention sur les dilemmes éthiques soulevés par les recherches de Jiankui He. Dans un essai publié en mai par le magazine Nature, un groupe de bioéthiciens chinois réputés fustigeait le chercheur et appelait à une refonte intégrale de la gouvernance de la Chine en matière d'éthique de la recherche. En janvier, Jiankui He fut licencié de la Southern University of Science and Technology de Shenzhen, en Chine.

Les chercheurs ont pris soin de faire remarquer que le débat sur le travail réalisé par Jiankui He ne devrait pas entacher le potentiel médical transformateur de Crispr, puisque cette technique de correction génétique n'introduit pas de changements héréditaires dans de nombreuses applications thérapeutiques. Par exemple, pour traiter une maladie génétique, les scientifiques peuvent prélever des cellules de l'organe d'un individu, corriger les gènes de ces cellules à l'aide de Crispr, puis réintroduire les cellules modifiées dans cet organe pour le repeupler. De la même façon, des chercheurs pourraient utiliser CCR5-∆32 dans le cadre d'un traitement contre le VIH en modifiant les cellules immunitaires d'un individu séropositif afin d'accroître sa résistance au virus.

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