Chaque année, sept millions de Français consomment des antidépresseurs… Et selon Santé Publique France, un Français sur cinq connaîtra un épisode dépressif au cours de sa vie…
Mais qu’est-ce qu’une dépression et comment les antidépresseurs agissent-ils sur cette maladie psychiatrique ?
- Quels sont les différents types d’antidépresseurs ?
- Doit-on vraiment les prescrire en cas de dépression légère à modérée ?
- Quels sont leurs effets indésirables ?
- Quels sont par exemple les risques de dépendance ?
- Quelles sont les alternatives aux antidépresseurs ?
- Quelles sont les thérapies qui fonctionnent et quelles sont les nouveaux médicaments prometteurs ?
Bref, les antidépresseurs sont-ils LA seule solution pour soigner les dépressions ?
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Eléments de réponse ce matin avec nos experts
Une émission en partenariat avec l’émission Enquête de santé diffusé demain soir sur France 5.
Les antidépresseurs dans le traitement de la dépression sévère
D'après une étude parue en 2008, l'efficacité des antidépresseurs est passée de 94 % à seulement 51 %. Et selon une autre étude récente, l'efficacité des antidépresseurs ne serait que de 15 % si on prend en compte l'ensemble des études. Pour Marina Carrère d'Encausse : « On s'est rendu compte vers 2008 qu'on n'avait pas tenu compte de toutes les études. On ne collectait que les meilleures, et non celles qui montraient une inefficacité ou des effets secondaires. On a constaté que l'efficacité était beaucoup moins importante que ce qu'on pensait depuis 30 ans. Ce que l'on sait en revanche aujourd'hui, c'est que pour des dépressions graves avec un risque suicidaire, les antidépresseurs marchent bien, même s'il y a des effets secondaires. Ils permettent de sauver des patients. »
Pour Baptiste Beaulieu : « C'est difficile quand on voit un patient qui va mal, que l'on pense qu'il y a d'autres manières de l'aider que la prescription, mais que le patient attend de ce médicament une guérison immédiate. Même si on sait que, si possible, que le médicament doit arriver en deuxième intention on le lui prescrit. On sait qu'une psychothérapie a autant d'effet qu'un antidépresseur, mais ça coûte plus cher. »
Le docteur David Gourion, lui, est étonné de l'efficacité des antidépresseurs sur les dépressions légères et modérés, pour lui : « La dépression est une maladie qui nécessite une prise en charge globale. Les antidépresseurs ne sont qu'un outil parmi d'autres comme les différents types de psychothérapie. Il faut rassurer les patients sur leur traitement. En France, la durée moyenne de prise d'un antidépresseur est entre un et deux mois. Or, on sait que ce sont des traitements qui doivent durer plus longtemps pour qu'ils soient efficaces. »
Quels sont les principaux critères de la dépression ?
Selon Santé publique France, un Français sur cinq, connaîtra dans sa vie un épisode dépressif. Quels sont les critères admis par les standards internationaux ? Pour David Gourion : « Il faut qu'il y ait au moins deux symptômes. Une tristesse intense et durable et une perte de plaisir. Ensuite, il y a toute une constellation d'autres signes qui vont venir s'ajouter comme de la fatigue, des troubles du sommeil, une perte de désir, parfois des idées noires, des idées suicidaires, des problèmes de concentration...
Ces symptômes s'inscrivent dans la durée (au moins quinze jours) et ils ont un impact fonctionnel. Vous ne pouvez plus travailler, et gérer la vie quotidienne. Ces symptômes ne sont pas à prendre à la légère, en France, nous avons 9 000 suicides par an, ce qui est considérable, c'est trois fois plus de morts que les accidents de la route. C'est un vrai sujet de santé publique. »
Trop de prescriptions d'antidépresseurs ?
D'après des chiffres récents de l'OCDE, la France n'est pas le pays où l'on consomme le plus d'antidépresseurs. L'Islande se place en tête avec 12,5 doses pour 100 habitants par jour, le Canada se place en deuxième position avec 12 doses pour 100 habitants par jour, suivi de la Suède avec 10,5 et demi.
La France consomme 5,5 doses pour 100 habitants par jour et en 2020, avec la pandémie, les chiffres ont augmenté. Mais est-ce que la France prescrit trop d’antidépresseurs ? Pour Guillaume Fond : « Le problème en France, ce n'est pas la prescription d'antidépresseurs, c'est la prescription d'anxiolytiques. Plus de la moitié des personnes qui se présentent au Centre expert des dépressions qui ne répondent pas aux antidépresseurs ont des consommations d’anxiolytiques très importantes, et au long cours, ce sont des médicaments qui vont avoir des effets qui favorisent l'entretien de la dépression sur le long terme. Il faut vraiment les garder pour des courtes durées pour passer le cap. »
Le déficit de la sérotonine, une théorie marketing ?
Dans son livre Génération Zombies, enquête sur le scandale des antidépresseurs, Arianne Denoyel parle des théories du déficit de la sérotonine. Pour elle et certains chercheurs, cette théorie ne serait que du marketing : « On a lancé cette idée pour vendre cette classe d'antidépresseurs, mais il n'y a pas de base scientifique pour affirmer que la dépression est due à un déficit de sérotonine. Pour beaucoup de chercheurs, c'est une hypothèse qui est simpliste. Le cerveau est un organe d'une complication extrême. On a des dizaines de neurotransmetteurs qui interagissent dans le cerveau et penser qu'il y a juste un manque de neurotransmetteurs qui crée la dépression pour une partie des chercheurs, c'est à la limite du ridicule. Dans mon enquête, ce qui m'a frappé également, c'est la variété des effets indésirables graves et très méconnus. »
Une psychothérapie est elle systématiquement associée à la prise d'antidépresseurs ?
Pour Guillaume Fond, c’est une question fondamentale. Les antidépresseurs sont des traitements symptomatiques et non-curatifs : « La dépression est une maladie extrêmement complexe qui n'est pas que biologique, mais psychologique, environnemental, sociologique, culturelle, ce qui signifie que la prise en charge doit être globale, qu'on soulage les symptômes de façon temporaire, ou durable, avec des antidépresseurs, c'est une chose, mais ça ne va pas apporter à la personne des outils qui lui permettent de mieux réguler ses émotions, de mieux comprendre les facteurs de stress qui, dans la vie quotidienne, la mettent en difficulté. »
Des alternatives à la dépression légère et modérée
Pour Guillaume Fond, quand la dépression est légère ou modérée, on peut se passer d'antidépresseurs, c'est même la première étape. Il vaut mieux privilégier une psychothérapie et surtout une bonne hygiène de vie : « L'hygiène de vie, c'est très important. Je vois beaucoup de jeunes, d'adolescents avec un symptôme dépressif qui derrière cache une addiction aux écrans, au cannabis. Il est évident que prescrire un antidépresseur sur ce type de terrain là, il faut déjà régler les conduites addictives plutôt que prescrire un antidépresseur. »
La thérapie comportementale cognitive
Dans son livre Guérir nos âmes blessées, David Gourion, recommande la TCC, la thérapie comportementale cognitive. C'est la thérapie de référence en matière de dépression. L'idée est de lutter contre les biais cognitifs, fréquents dans la dépression, comme personnaliser ses problèmes, se centrer sur le négatif, tirer de fausses conclusions, ou adopter un raisonnement dichotomique : « Il y a aussi d'autres outils, on parle déjà de TCC de troisième vague avec la méditation pleine conscience par exemple. On a besoin que la recherche avance dans ce domaine, notamment avec les psychédéliques, la neuromodulation ou encore la neurostimulation. Aujourd'hui, nous avons une formidable boîte à outils qui doit rassurer les patients atteints de dépression et permet d'apporter des réponses thérapeutiques. »
Le mode de vie, facteur essentiel face à la dépression
Pour Guillaume Fond, pour prévenir les périodes de dépression : « L'Alimentation méditerranéenne a prouvé son efficacité sur la prévention de la dépression, et sur la dépression elle-même. Quand on est dépressif et qu'on passe à un mode d'alimentation méditerranéen, ça améliore les symptômes de dépression. L'activité physique est très importante, avec dans l'idéal, 150 minutes par semaine, donc deux heures et demie en deux à trois séances, et bien sûr le sommeil. Il est très important d'avoir au moins sept heures de sommeil par nuit. Pour 90 % des gens, c'est vraiment ce qui est le plus essentiel pour prévenir le risque de dépression et améliorer les symptômes de dépression. »
Invités :
- Marina Carrère d’Encausse : Docteure en médecine, spécialisée en échographie. Elle présente « Le Magazine de la santé » du lundi au vendredi à 13h40 sur France 5 ainsi qu’ « Enquête de Santé » une fois par mois, le mardi à 20h50.
- Guillaume Fond : Docteur en psychiatrie et neurosciences, psychiatre et chercheur à l’AP-HM (Assistance publique - Hôpitaux de Marseille). Il est l’auteur de trois ouvrages, dont Bien manger pour ne plus déprimer : Prendre soin de son intestin pour prendre soin de son cerveau (Odile Jacob, 2022), où il analyse le lien entre le microbiote et la santé mentale.
- David Gourion : médecin psychiatre à Paris, docteur en neurosciences et expert auprès de la Haute Autorité de Santé. Il est l’auteur de plusieurs ouvrages, dont récemment Guérir nos âmes blessées : La révolution des thérapies (Marabout, 2023).
- Ariane Denoyel : journaliste indépendante, diplômée de l’IEP de Paris, professeure à l’école de journalisme de Grenoble et enseignante associée à Sciences Po Grenoble. Elle a publié en 2021 Génération zombie: Enquête sur le scandale des antidépresseurs (Fayard, 2021).
La chronique de Thierry Lhermitte, parrain de la FRM
La chronique Alors voilà de Baptiste Beaulieu
Pour en savoir plus, écoutez l'émission...
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