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ENTRETIEN. Alain Fischer, figure de la pandémie : « La France n'écoute pas assez ses chercheurs » - Ouest-France

Par manque de temps, dit-il, Alain Fischer n’a pas sorti beaucoup de livres, au cours d’une carrière de grand chercheur, engagé dans la vie publique quand il s’agissait de donner une juste place à la science. Une place qu’elle n’a pas en France, par manque de culture scientifique à tous les niveaux de la société, regrette le scientifique qui présidait le Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale pendant la pandémie de Covid-19.

Le livre qu’il vient de publier chez Odile Jacob, dit ses convictions sur la place que la science devrait occuper dans la société, mais détaille aussi l’évolution de nos connaissances sur l’immunologie, son thème de recherche. Pour cet entretien, nous nous sommes concentrés sur le premier sujet.

Vous sortez un livre intitulé Protéger les vivants. Joli titre.

C’est bien sûr l’objectif de la médecine. Cela renvoie à ma pratique médicale auprès d’enfants malades et à la protection contre les infections, qui a été l’essentiel de mes recherches…

Beaucoup de Français vous ont découvert pendant la pandémie, comme Monsieur Vaccin. Un surnom que vous n’aimez pas.

Monsieur Vaccin, cela désignerait la personne qui décide de la politique vaccinale. Je n’ai décidé de rien, zéro. Le conseil d’orientation de la stratégie vaccinale n’avait qu’un rôle consultatif, comme doivent l’être les comités d’experts. Mais ce surnom est resté. Pas pour le meilleur. Une fois, un homme m’a abordé dans la rue. Il m’a dit : « C’est vous Monsieur Virus ? Vous allez voir ce qu’on fera des gens comme vous après les prochaines élections. »

« La place de l’expertise dans la sphère publique est bien trop limitée »

Ne faut-il pas d’une République des experts ?

Les experts ne sont là que pour apporter une analyse scientifique. Et il faut confronter plusieurs experts parce que les experts peuvent aboutir à des conclusions différentes. Mais je regrette vivement que les experts scientifiques ne soient pas plus intégrés aux ministères en France. Nous sommes dans un pays où la plupart des dirigeants, dans le monde politique, mais aussi malheureusement dans le monde économique, n’ont pas de culture scientifique. Et ils ne perçoivent pas l’importance de celle-ci.

Le Président aime pourtant les comités d’experts. Il vient d’en créer un consacré aux écrans.

Oui, cela va dans le bon sens. Mais la place de l’expertise dans la sphère publique est bien trop limitée. Il y a une méfiance des chercheurs vis-à-vis des politiques et inversement. C’est complètement absurde et globalement nuisible.

Vous considérez également que la recherche est mal dirigée en France ?

Il y a un gros problème dans l’administration de la recherche en France, que ce soit au niveau du financement comme de l’évaluation. Et la part du budget de recherche alloué aux sciences de la vie est traditionnellement sous-dotée : 20 % en France, 30 % en Allemagne, 50 % au Royaume-Uni.

D’autres pays font vraiment mieux ?

L’Allemagne était dans une position proche de la nôtre en 2007-2008. Angela Merkel a impulsé une politique de recherche remarquable, avec une augmentation progressive, mais très significative, des budgets de recherche publique et des salaires des chercheurs, ce qui a également stimulé le secteur privé. Et cela a eu des résultats pour la place de l’Allemagne dans la recherche internationale. En France, les salaires des chercheurs, même s’ils ont été réévalués, restent inférieurs d’un quart à la moyenne dans l’OCDE (Organisation de coopération et de développement économiques).

Il y a pourtant des efforts sur les programmes de recherche, comme avec le programme France 2030.

Ces programmes sont surtout orientés sur l’innovation. L’innovation, c’est nécessaire, mais à moyen terme, si on veut de l’innovation, il faut d’abord de la recherche.

« Dire clairement d’où on parle »

Les scientifiques, rappelez-vous, sont souvent eux-mêmes à la base de fake news.

Dans le domaine de la santé et de la recherche, c’est toujours le cas. Comme toutes les communautés humaines, de temps en temps il y a des gens qui dérivent. Selon moi, le cas le plus dramatique est le chercheur germano-américain Peter Duesberg. Un très grand biologiste moléculaire. Il s’est pris de l’idée que le virus VIH n’était pas la cause du sida. Il a servi un moment d’expert pour le gouvernement d’Afrique du Sud qui n’a pris aucune mesure de détection et de sérologie contre le VIH. Cela a encore des conséquences.

La communauté scientifique doit-elle réagir plus clairement aux dérives ?

La plupart des organismes de recherche ont mis en place des chartes d’expression, parfois excessives en termes de contrôle. Mais il faut qu’un scientifique dise clairement d’où il parle. S’il exprime son opinion personnelle ou en tant que chercheur. Je pense à ce sociologue, Laurent Mucchielli, qui a abusé du fait qu’il était au CNRS pour raconter n’importe quoi sur la vaccination.

Et pour des chercheurs dont c’est la matière, comme Didier Raoult ?

Son université ne l’a jamais contrecarré, ce qui est déplorable. La communauté scientifique et universitaire doit faire son autocritique. L’exemple de Raoult est caricatural. Les scientifiques auraient dû s’exprimer clairement et rapidement pour dire que ses études (sur l’efficacité de l’hydroxychloroquine sur le Covid-19) ne valaient rien. Ce qu’on savait.

Déception sur la loi bioéthique

Vous avez participé à la première thérapie génique, celle des « bébés bulles », en 1999. Cela a été une étape essentielle dans votre domaine de recherche ?

J’étais surtout impliqué sur la recherche fondamentale. Comprendre la physiopathologie du système immunitaire. Dans le cas de ces enfants, une toute petite anomalie génétique a des conséquences catastrophiques. Ce sont des systèmes relativement simples à expliquer et à tenter de soigner.

On connaît maintenant les pièces du puzzle de l’immunité, mais ce puzzle peut prendre tellement de conformations qu’on n’en est qu’au tout début de sa compréhension. Ce qui est anormal est que le diagnostic postnatal de cette maladie (un déficit immunitaire sévère) ne soit pas toujours pas réalisé en France, alors que cela se fait depuis quinze ans aux États-Unis.

La France a un gros retard dans le dépistage néonatal ?

C’est une espèce de lenteur bureaucratique, mais derrière la lenteur bureaucratique, il y a un problème de perception de l’importance du sujet. Parallèlement, je ne comprends pas que la dernière loi de bioéthique n’aborde pas les diagnostics préconceptionnels, la possibilité pour les couples de rechercher s’ils sont porteurs de mutations qui induiront à coup sûr des maladies génétiques chez leurs enfants. Cela permettrait d’éviter un bon paquet de maladies génétiques graves, qui ont des conséquences terribles chez les familles, ou de les prendre en charge plus vite. En France, 30 000 personnes souffrent de drépanocytose (une maladie génétique des globules rouges). Pour moi, il est incompréhensible que l’on freine sur ce sujet, alors qu’on pourrait éviter tant de souffrances.

Protéger les vivants, Odile Jacob, 338 p., 24,90 €.

Dates clés

1949. Naissance à Paris, le 11 septembre.

1979. Diplôme de médecine, en pédiatrie. Travaille à l’hôpital Necker-Enfants malades.

1991. Directeur de l’unité Inserm : développement normal et pathologique du système immunitaire. Professeur de médecine.

1999. Participe à la première thérapie génique couronnée de succès.

2008. Grand prix de l’Inserm.

2014. Professeur au Collège de France. Directeur de l’Institut des maladies génétiques Imagine.

2016. Président du comité d’orientation de la concertation citoyenne sur la vaccination.

2020. Président du Conseil d’orientation de la stratégie vaccinale.

2022. Depuis décembre, Président de l’Académie des sciences.

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