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"Zéro alcool" pendant la grossesse. Arrêtez de prendre les femmes pour des imbéciles

Il est des sujets qui n'admettent pas de discussion. L'alcool pendant la grossesse ? C'est non. Tut ! Tut ! Une main en l'air se dresse comme pour vous repousser. Voici comment réagissent les gens quand vous vous mettez à questionner la drastique politique française du "zéro alcool".

C'est comme ça. "Pas de discussion !" on a dit.

A l'occasion de la journée sur le syndrome d'alcoolisation fœtale (SAF) du 9 septembre, la ministre de la Santé a tweeté en faveur de cette politique zéro alcool.

Suit une série d'article de confrères qui tous disent la même chose : zéro alcool, zéro alcool, zéro alcool !

"Non mais cette tête !"

En tombant sur le Parisien du jour, Pauline, 34 ans, enceinte de six semaines, a été glacée. Elle nous a dit :

"Tout fait peur dans la page, jusqu'au dessin du bébé. Non mais cette tête ! Ces yeux exorbités. Il fait flipper. C'est vraiment hallucinant. C'est un parfait exemple d'éducation ou dressage des femmes par la peur."

Dans les affiches de la campagne nationale, le pauvre fœtus a des yeux moins inquiétants (ils sont fermés) mais il baigne shooté dans du pinard ou de la bière.

Pauline a bu joyeusement au tout début de sa grossesse. Elle ne se savait pas enceinte. Après lecture de l'article du Parisien, elle se demande :

"Quand est-ce qu'on nous donne des infos ? Là, dans cet article, on me dit juste : "Tu as bu, tu es enceinte d'un attardé. Tant pis pour toi". Ça sert à quoi de faire ça ?"

Enfin, elle remarque que tout cela nourrit un imaginaire. Celui du corps de la femme enceinte comme temple sacré d'utilité publique.

"Il faut que tu sois pure. Plus une goutte d'alcool ne doit parcourir ton corps, plus de fumée de cigarette ne doit te traverser. Tu deviens mère, il faut devenir pure. L'injonction à être une mère parfaite commence dès la grossesse."

Je partage la colère de Pauline . Depuis plusieurs jours ça monte, ça monte. Reprenons depuis le début.

Faire assimiler

Tout ceci (la campagne zéro alcool, le tweet du ministère, les confrères, le Parisien) s'accompagne d'une nouvelle étude.

Est-ce que cette étude prouve les méfaits de l'alcool sur les enfants ? Est-ce qu'elle apporte des informations supplémentaires aux femmes enceintes sur les risques qu'il y a à boire pendant la grossesse ? Pas du tout.

Il s'agit d'une étude d'opinion en réalité (deux pages de pourcentages) qui pose cette question : les Français sont-ils bien au courant qu'il ne faut pas boire pendant la grossesse ?

Apparemment oui, ça va, lit-on-dans la dite "étude".

Mais ce n'est pas encore suffisant.

"Le dispositif de communication déployé depuis deux ans par Santé publique France semble avoir porté ses fruits car le principe de précaution est de mieux en mieux assimilé. Santé publique France déploie un large dispositif digital pour renforcer les connaissances et faire adopter le bon réflexe "zéro alcool pendant la grossesse"."

Le but est donc "de faire assimiler", "de faire adopter un bon réflexe". Comme à un lycéen qui prend des cours de conduite. Ça va finir par rentrer le clignotant.

Des études rassurantes

Ce qu'il faudrait nous dire plutôt : c'est que la toxicité dépend bien sûr de la quantité d'alcool consommée et de la période, qu'il y a des fenêtres de vulnérabilité encore mal identifiées, et des études rassurantes quant à la consommation légère d'alcool. 

L'Inserm résume ainsi les résultats d'une équipe de chercheurs :

"L'exposition du fœtus à l'alcool est délétère pour la maturation du système nerveux central, que ce soit au niveau des neurones ou des microvaisseaux qui irriguent le cortex cérébral. Cette toxicité dépend de la quantité d’alcool consommée par la mère et de la période à laquelle le foetus y est exposé (fenêtre de vulnérabilité)."

Et mettre le nez dans les études est plutôt rassurant. Personne n'incite à boire pendant sa grossesse bien sûr. Mais ...

  • Dans une étude menée sur 11 513 enfants, Yvonne Kelly, chercheuse en épidémiologie à l'université de Londres remarque après des années d'observation sur les enfant dont les mères ont bu modérément. "A l'âge de 5 ans les enfants dont les mères avaient bu un à deux verres par semaine ou par occasion pendant leur grossesse n'étaient pas diagnostiqués comme ayant plus de trouble du comportement ou de déficits cognitifs que les enfants dont les mères n'avaient pas bu."
  • Sur le site du Centre de Référencement sur les Agents Tératogènes (CRAT), dépendant de l'hôpital Armand Trousseau, on lit ensuite : "En dessous de 2 unités d’alcool par jour, ou moins de 1 binge drinking par semaine, la fréquence globale des malformations n’est pas augmentée. Les études sur des effectifs très importants (plus de 15 000 enfants), semblent, dans l’ensemble, écarter un retentissement neuro-comportemental de ce type de consommation maternelle d’alcool chez les enfants évalués à un âge de 2 à 14 ans."
  • Le Cochrane est une organisation internationale, indépendante et à but non lucratif, qui s'est donné pour mission de "rassembler et résumer les meilleures données probantes issues de la recherche pour aider [les citoyens] à faire des choix de traitement éclairés." Sur son site, on peut lire : "Il a été démontré qu'en faible quantité, la consommation d'alcool de la mère n'était pas associée à des effets indésirables sur le bébé, mais que la consommation excessive d'alcool entraînait un certain nombre d'anomalies congénitales ainsi que le syndrome de l'alcoolisme fœtal."

Chez nos voisins anglais

On se demande donc comment on en arrive à cette campagne qui culpabilise des femmes enceintes qui ont bu deux verres de vin blanc ces deux derniers mois.

C'est d'autant plus fascinant à observer qu'il suffit de passer une frontière pour découvrir qu'on peut traiter ce sujet différemment.

Chez nos voisins anglais par exemple, on conseille aussi de ne pas boire du tout. Sur le site du NHS, système de santé public anglais :

"Les experts ne savent toujours pas quelle est la quantité d'alcool que l'on peut consommer sans prendre de risque quand on est enceinte - et si la réponse est zéro. L'approche la plus prudente est donc de ne pas boire pendant qu'on attend un enfant."

Déjà vous remarquez on ne dit pas "zéro alcool" comme un ordre à un enfant. Ensuite, toujours sur le site du NHS, dans un article sur la consommation d'alcool à faible dose pendant la grossesse, les résultats de l'étude d'Yvonne Kelly sont présentés. Et tout en saluant ses méthodes rigoureuses, le NHS émet une réserve : les mères ont déclaré leur consommation a posteriori (les bébés avaient neuf mois).

Les préconisations du NHS sont ensuite rappelées :

  • "Les femmes enceintes et les femmes qui envisagent une grossesse devraientêtre invitées à éviter de consommer de l'alcool au cours des trois premiers mois de la grossesse, car elle peut être associée à un risque accru de fausse couche."
  • "Siles femmes choisissent de boire de l'alcool pendant la grossesse, on leur conseille de ne pas boire plus de 1 à 2 unités  une ou deux fois par semaine (1 unité équivalant à une demi-pinte de bière, un shot [25 ml] de spiritueux et un petit verre de vin [125 ml] peut atteindre 1,5 unité au Royaume-Uni). Bien qu'il y ait une incertitude quant au niveau bénin deconsommation d'alcool pendant la grossesse, à ce faible niveau, il n'y a aucune preuve de préjudice pour le bébé à naître."
  • "Les femmes devraient être informées que l'ivresse ou le binge drinking (définie comme plus de 5 boissons standards ou 7,5 unités en une seule occasion) peut être nocive pour le bébé à naître."

Serait-ce trop demander en France que de disposer d'une information aussi mesurée ? Peut-on arrêter de nous prendre pour des idiotes ?

"Il faut être simple"

Nous avons contacté Santé publique France. Au téléphone, Pierre Arwidson, directeur scientifique réagit : 

"Quand on regarde les recommandations internationales, elles vont toutes dans le sens du zéro alcool. Nous ne sommes donc pas originaux. Ensuite quand on observe les suivis de la littérature, il y a des travaux qui vont dans un sens, d'autres qui vont dans l'autre."

Il cite le travail de Sarah Lewis, chercheuse en psychologie à l'université de Bristol et selon laquelle l'alcool a une incidence sur le QI des enfants même à dose modérée (jusqu'à six unités).

Pourquoi ne pas présenter les différents travaux aux femmes ? Pierre Arwidson remarque que c'est aussi le travail des journalistes, de proposer une information nuancée.

Il dit aussi qu'"il faut être simple". Je lui demande si on nous pense incapables de comprendre la complexité. Gros silence. Puis :

"Il n y a pas une volonté de paternalisme. La campagne est forcément simplificatrice. Il y a une hiérarchie avec des messages courts et des messages plus élaborés."

Enfin, il renvoie les femmes vers "les médecins et vers alcool info service"...

Voilà. Pour l'instant le discours sanitaire français est donc le suivant : il y a un doute, donc zéro alcool. Mais cet ordre en dit très long sur le rapport des Français aux médecins. Nous sommes censés obéir tout le temps. C'est toute la différence avec la médecine anglo-saxonne qui considère que le patient et le soignant sont une équipe qui travaille ensemble.

Qu'on nous informe, qu'on vulgarise des études et qu'on les nuance comme a pu le faire le NHS. Ensuite les femmes enceintes pourront faire un choix éclairé. On vous jure qu'elles en sont capables.

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http://tempsreel.nouvelobs.com/rue89/nos-vies-intimes/20170907.OBS4371/zero-alcool-pendant-la-grossesse-arretez-de-prendre-pour-des-imbeciles.html

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